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Libération
Enquête

Coup de pouce aux plumes scénaristes

Accompagner un film dès ses débuts revient à prendre le risque de la création. La réussite peut être rapide, avec recettes et César à la clé, mais il faut souvent être patient et, parfois, accepter l'échec. Plongée dans l’aventure de l’aide à l’écriture.
(Thierry Ardouin)
publié le 20 avril 2018 à 17h56
(mis à jour le 2 mars 2020 à 16h44)

C'est un dispositif discret, qu'on connaît peu. Il est pourtant essentiel à la genèse de nombreux films. Divines (Houda Benyamina), Cherchez la femme (Sou Abadi) ou Les Baigneurs de la rue Oberkampf (Julie Conte) comptent parmi les dizaines de projets qui ont reçu l'aide à l'écriture de scénarios de la région Ile-de-France. Deux commissions, réunies plusieurs fois par an, ont l'épineuse mission de choisir les heureux élus. L'an dernier, 33 ont été retenus, sur 238 candidatures. Fictions, documentaires, animation, projets télé ou web, séries, longs métrages, courts métrages… La sélection est d'autant plus rude que les critères sont ouverts. Le montant de la bourse d'écriture, de 8 000 à 18 000 euros, est un bol d'air vital pour les auteurs. «Cela rémunère un temps d'écriture qui est rarement financé par les productions, alors qu'il est déterminant pour la qualité d'un projet», salue Fabienne Aguado. Figure du Centre des écritures cinématographiques du Moulin-d'Andé (Normandie), cette ardente défenseure des auteurs a participé à de nombreuses commissions d'Ile-de-France et d'ailleurs. Elle relève, au-delà de l'aspect financier évident, la reconnaissance que représente cette bourse pour les porteurs de projets. Etre aidé par le conseil régional agit comme un levier favorisant l'obtention d'autres soutiens. Un cercle vertueux qui est un facteur de motivation de plus pour les candidats.

«Militance»

«Un sacerdoce !» Le mot revient souvent chez les membres des comités de lecture. Bénévoles, ces professionnels du cinéma aguerris sont choisis par la région Ile-de-France, et accompagnés de quelques élus. En tout, ils sont une vingtaine à se partager les scénarios : aux uns les auteurs débutants, aux autres les plus confirmés. Synopsis, lettre d'intention, CV et scénario : un épais pavé attend les lecteurs. «C'est une question de militance, d'envie de participer à une activité qui fait sens. J'y ai passé des soirées et des week-ends entiers», se souvient Fabienne Aguado.

Comme toute commission, ces deux-là n'échappent pas à leur petite routine : chaque séance commence par un tour de table qui permet d'évoquer rapidement les projets. Puis les lecteurs montent un à un au créneau, pour défendre les auteurs auxquels ils croient. Cinq ou six seulement seront sélectionnés, souvent sur la base d'un large consensus, parfois après de houleux débats. On cherche à dégager une unanimité puis on vote à bulletin secret. «C'est important de discuter, d'essayer de convaincre, d'apporter de nouveaux éléments… Mais aimer ou pas un projet n'est pas un critère valable», tranche Lætitia Kugler, «script doctor» et directrice d'écriture.

L'intérêt de la dramaturgie, la construction des personnages, la création d'une tension, l'originalité du traitement d'un sujet : voilà ce qui doit guider, à ses yeux, la décision. «J'ai tendance à privilégier l'authenticité et le positionnement de l'artiste, même si la formulation est maladroite, plutôt que des dossiers brillamment exécutés parfois plus fades», modère Fabienne Aguado. «Avoir pouvoir de vie ou de mort sur un récit place de fait dans une position de jugement très inconfortable», relève la réalisatrice Emilie Deleuze, habituée des séances de lecture. Le risque de toute commission est de favoriser l'entre-soi, ou le compromis mou. «Il faut savoir défendre ce qui ne nous ressemble pas, ce qui nous dérange même, mais qui a son intérêt», souligne-t-elle.

Animation d’ateliers

Aider aujourd'hui les créations de demain, dès l'étape d'écriture : la mission, essentielle, est saluée par le milieu du cinéma d'auteur. Pourtant, elle n'a rien d'une évidence. En Ile-de-France, cet accompagnement n'est créé que tardivement. «Contrairement à l'aide à la production cinématographique, où l'impact en termes d'emploi et de revenu est très visible, soutenir l'écriture s'inscrit dans une politique culturelle qui n'est pas forcément visible à court terme», explique-t-on à la région. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les candidats sont soumis à l'exigence d'animer des ateliers et des rencontres auprès des Franciliens. Au-delà de l'intérêt réel d'échange et d'émulation, cet ancrage territorial est aussi une manière de rendre visible et concrète cette dépense de deniers publics. L'objectif est de créer du lien entre un professionnel du cinéma et le grand public : lycées, médiathèques, maisons de retraite, associations sociales ou culturelles, milieu carcéral… L'auteur est libre de choisir, et de proposer un projet de médiation en conséquence. «Je suis favorable à cette approche originale, car la relation du cinéaste à la société me semble essentielle. De plus, ces actions culturelles peuvent aussi nourrir un projet artistique», soutient Fabienne Aguado. Ainsi, pour son documentaire Les Hommes de Billancourt, la réalisatrice Caroline Pochon a mené des ateliers d'écriture avec des anciens ouvriers de l'usine Renault de Boulogne-Billancourt.

Nombreux guichets

«Bien sûr, ce n'est ni facile ni parfait, mais il suffit de voyager dans un seul autre pays au monde pour se rendre compte de la chance folle que nous avons en France pour faire des films», rappelle Emilie Deleuze. Conseil régional, Scam (Société civile des auteurs multimedia), SACD (Société des auteurs), CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée)… De nombreux guichets existent qui permettent aux auteurs de trouver des portes auxquelles frapper, aux sensibilités et enjeux différents.

Reste que ces aides financières gagnent à être couplées à un soutien technique et humain à l'écriture, souligne Fabienne Aguado : «Combiner ces deux aspects donne toute leur puissance aux projets et à leurs auteurs.» Dans ce sens, la région a missionné depuis l'an dernier la Maison du film, une association qui fournit conseils, ressources, et formations sur les métiers du cinéma. Chaque auteur débutant soutenu bénéficie automatiquement d'un accompagnement personnalisé de cette structure, via un scénariste confirmé. «Ces rapprochements sont essentiels, défend Fabienne Aguado. Au-delà de l'aspect sécurisant d'un soutien financier, un accompagnement concret amène l'auteur à être au plus près de son désir, de son exigence.»

Faut-il voir dans cette aide à l'écriture et dans le développement actuel de résidences d'écriture le signal d'une nouvelle reconnaissance des scénaristes, parents pauvres du cinéma français ? Le chemin est encore long. Trop souvent, les réalisateurs sont poussés à être leurs propres auteurs sans en avoir la compétence, et se retrouvent en souffrance dans la phase d'écriture. Dans le même temps, de nombreux scénaristes restent sur le carreau. Mais les choses bougent, et Lætitia Kugler veut y croire. «Le scénario est en train de retrouver ses lettres de noblesse, il faut lui redonner toute sa place !»

Pour 2018, sur les 20,5 millions du budget francilien destiné au cinéma et à l’audiovisuel, l’aide au scénario représente 500 000 euros, soit 100 000 euros de plus que l’an dernier. Cette rallonge bienvenue, due à la convention triennale qui lie la région au CNC, devrait permettre de soutenir une petite dizaine de projets supplémentaires, espèrent les équipes franciliennes. Ce signal positif est d’autant plus précieux que les aides déconnectées d’un résultat direct et probant se font rares.

Favoriser la création exige pourtant un soutien sur le long terme, et la nécessité d'accepter une part d'échec sur certains projets. Si certains films, comme Divines, récoltent une moisson de prix et de César, d'autres ne verront jamais le jour. Mais au-delà de la réalisation d'un film, l'ambition pour les auteurs est aussi de gagner en expérience et en compétence, peut-être pour le projet d'après. Il y a là un précieux droit à l'erreur et à l'apprentissage, qui reste encore à défendre.