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Libération

ETA : un ultime mea culpa à bon compte

L’organisation terroriste basque a publié vendredi un communiqué dans lequel elle demande pardon pour les 850 personnes qu’elle a tuées en quarante ans, mais fait un distinguo entre les victimes.
publié le 20 avril 2018 à 20h56

«Nous sommes conscients d'avoir provoqué une grande douleur pendant une longue période, y compris des dommages qui n'ont pas de solution. Nous voulons exprimer notre respect aux morts, aux blessés et aux gens ayant souffert des actions d'ETA. Nous le regrettons véritablement.»

Vendredi, par le biais des journaux nationalistes Gara et Berria, les pistoleros moribonds de la dernière organisation terroriste existant sur le sol européen se sont livrés à un acte de contrition. Comme jamais au cours de leur histoire sanglante. Responsable de 850 morts en un demi-siècle de lutte armée - sa naissance remonte à 1959, son premier attentat à 1968 - Euskadi ta Askatasuna (Pays basque et Liberté), plus connu sous l'acronyme ETA, a fait son premier véritable mea culpa.

Jusqu'alors, notamment depuis l'annonce de «la cessation définitive de la lutte armée» en 2011, les séparatistes basques avaient multiplié les communiqués alambiqués où s'égrenaient des bribes d'autocritique. Cette fois, le ton est différent, bien moins sournois et cruel qu'à l'accoutumée. Cette «souffrance n'aurait jamais dû se produire et n'aurait pas dû se prolonger autant» , ajoute le communiqué.

Depuis les premiers attentats pendant les dernières années de la dictature franquiste, les dirigeants d'ETA ont toujours aimé théâtraliser leurs «faits d'armes» - selon leurs termes -, leurs «lâches attentats» aux yeux de l'immense majorité des Espagnols.

Rituel. Aujourd'hui agonisants, les leaders de ce qu'il reste de cette organisation tentent une ultime mise en scène : le rituel du pardon aux victimes, préambule à l'autodissolution, prévue et annoncée pour le premier week-end de mai. Soit un an exactement après leur désarmement, validé par des observateurs internationaux. Il s'agit pour les terroristes de ne pas tirer leur révérence dans le plus sombre anonymat. En clair, ils cherchent une forme d'onction internationale à leur sortie de scène. «Cette autocritique est un fait sans précédent et une contribution définitive à la paix», a ainsi affirmé Arnaldo Otegi, leader de la formation séparatiste Bildu (ex-bras politique d'ETA).

Du coté du gouvernement et de la quasi-totalité de la classe politique espagnole, on ne voit pas les choses de la même manière : «Ce communiqué illustre la victoire de l'Etat de droit», a ainsi jugé Mariano Rajoy, le Premier ministre conservateur. Et, pour le leader socialiste, Pedro Sánchez, «une amère victoire de la démocratie sur ETA».

La contrition des terroristes basques n'est toutefois pas pleine et entière. A la veille de sa reddition définitive, ETA n'accepte toujours pas l'idée très largement partagée du «tout ça pour rien». Les séparatistes veulent signifier que leurs actions terroristes furent une réaction à la violence de la dictature franquiste. «C'est une façon pour eux de se dédouaner, souligne Jesús Maraña du site Infolibre. Leur thèse est qu'ils ne sont que le produit d'une réaction en chaîne. Et non pas, comme nous le pensons majoritairement, l'émergence d'une folie meurtrière, qui peut certes s'expliquer pendant la dictature, mais dont la poursuite ne peut en aucun cas se justifier au sortir du franquisme, alors même que l'avènement de la démocratie a décrété une amnistie générale.»

Colère. Dans leur communiqué, les pistoleros basques évoquent également les «actions violentes que personne n'a jamais revendiquées et qui n'ont jamais été éclaircies». Une référence aux «opérations répressives» de la Garde civile et de la police nationale, les principales cibles d'ETA dès les années 70. Tout est mis dans le même sac : les assassinats commis par les GAL, des groupes paramilitaires ; les tortures ; les morts accidentelles d'artificiers séparatistes…

Dans leur mea culpa, les derniers dirigeants d'ETA font également deux poids deux mesures parmi les victimes. D'une part, «ces citoyens et citoyennes qui n'ont aucune responsabilité» : «pour eux, nous demandons pardon» ; de l'autre, tout le reste, policiers, gardes civils, élus municipaux, partie prenante du «conflit» aux yeux des terroristes basques. Un distinguo qui a indigné en Espagne. Et provoqué la colère du chef de l'exécutif basque, Iñigo Urkullu, un nationaliste modéré : «ETA doit la même considération à toutes les victimes, sans faire aucune différence.» Il a aussi suscité la rage de María del Mar Blanco, sœur d'un élu assassiné en 1997 et présidente de l'Association des victimes du terrorisme : «Avec ce communiqué, ETA justifie la mise sur le même plan des innocents, comme mon frère, et des cinglés de leur camp. En réalité, dans cette horreur, il n'y a eu que des victimes et des bourreaux.»