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Libération
Mariage pour tous

«On voulait que ce soit le point d’orgue de nos vies militantes»

LGBT +dossier
Quatre couples mariés dès 2013 racontent à «Libération» le jour de leur union et comment ils ont ouvert la voie auprès de leurs amis homosexuels.
Audrey et Emilie, jeudi à Bordeaux. (Photo Rodolphe Escher pour Libération)
publié le 20 avril 2018 à 20h56

Le 23 avril 2013, les députés adoptaient définitivement la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, dite loi Taubira. Après des centaines d'heures de débats douloureux, marqués par la libération d'une parole homophobe décomplexée dans les rangs de la droite conservatrice, les gays, les lesbiennes et les bi se sont approprié cette institution dont ils étaient autrefois exclus. Ils fêtent cette année leurs noces de bois. Mêmes droits, mêmes cérémonies ?

Jean-Marc et Alain 62 ans et 77 ans, cheminot et commerçant retraités, Fossoy (Aisne), mariés le 31 août 2013

«Nous avons été les premiers mariés de la vallée de la Marne après avoir été les premiers pacsés du département, en 1999. A l’époque, c’était le seul moyen pour se protéger d’un pépin. Si Alain mourait, les frais de succession ne m’auraient pas permis d’hériter de lui. Avec le mariage, on est donc plus tranquilles. Nous souhaitions nous unir le 22 juin pour fêter l’anniversaire de notre rencontre, mais deux de nos témoins ne pouvaient pas car ils sont profs et cela tombait au moment du bac.

«Pour conclure des années de combat, nous avons demandé à nos invités, des élus, des amis, et tous ceux qui nous ont soutenus, de faire 200 mètres de marche tous ensemble jusqu'à la mairie le jour de la cérémonie. Mon mari a longtemps été au Syndicat national des entreprises gaies, le Sneg, on faisait cinq à six Gay Prides chaque année, donc on voulait que ce mariage soit le point d'orgue de nos vies militantes. C'était un geste symbolique qu'un ami membre du chœur de l'Armée française a ponctué par un Hymne à l'amour un peu revisité à faire pleurer l'assistance. La fête, elle, était ordinaire, pas comme celles des jeunes de 20 ans. Aujourd'hui, cela fait vingt-sept ans que l'on est ensemble, se marier c'était donc signer un contrat de longue durée : il y a des couples qui ne tiennent pas autant.»

Émilie et Audrey37 ans et 39 ans, enseignante et infirmière libérale, deux enfants de 3 et 5 ans, Bordeaux

E. : «Avec Audrey, on s'est rencontrées en discutant sur un site début 2008. On ne cherchait pas l'amour. Il nous a embarquées. L'idée d'engagement était claire dès le départ. On s'est fait tatouer une alliance sur l'annulaire gauche, avec le prénom de l'autre en écriture japonaise, pacsées dès la fin 2008. Le mariage n'existait pas. Mais quand François Hollande l'a promis, il a suffi qu'on se regarde pour savoir qu'on allait s'unir. On a joué à se faire des demandes en s'écrivant des mots sur la plage. On n'était pas très Gay Pride, mais à l'élection de Hollande en 2012, on a manifesté pour montrer que sa promesse de campagne était importante pour nous. Et fixé la date du mariage au 6 juillet 2013.

«Comme on avait déjà largement célébré notre pacs, on pensait faire une petite fête seulement. Mais tous ceux qu’on avait invités ont voulu venir. On a compris que le mariage représentait vraiment un truc dans la tête des gens. On pensait être 30, on s’est retrouvés à 90 personnes. On comptait remettre nos tenues en lin du pacs, on a fini en robes blanches, avec bouquets et coiffures.

«On a craint que la mairie de droite du 91 où on s’est inscrites ne traîne des pieds, mais tout s’est bien passé. Les gens dans la salle ont été surpris de nous voir passer nos alliances à l’annulaire droit. On a dû montrer notre tatouage sur le gauche pour qu’ils comprennent qu’on ne se trompait pas. L’ambiance était vraiment sympa. On avait créé un mini-site pour que tout le monde mette la main à la pâte. Ceux qui ne se connaissaient pas ont ainsi fait connaissance avant la cérémonie. L’énergie était là. Notre seule crainte c’était qu’Audrey, proche du terme, n’accouche ce jour-là. Notre fils a finalement attendu. Après notre union, on a envoyé un carton de remerciement à Christiane Taubira, François Hollande et notre député, Jérôme Guedj. Sans eux, ce jour n’aurait pas existé.»

A. : «J'étais enceinte de 9 mois, et je ressentais tout de manière très forte. Mes parents, qui n'étaient pas là à mon pacs, sont venus. Pendant la cérémonie, je les regardais par moments. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils sautent d'enthousiasme. Mais ils avaient l'air émus et pas bien à l'aise. Par-dessus tout, j'étais fière de porter notre premier enfant et qu'on se marie, nous, le couple homo. Fière de montrer que nous ne sommes pas différentes, qu'on fait les choses naturellement, et notamment s'aimer, qu'on renvoie de belles images, positives.

«Le discours de l’adjointe au maire, le fait que je sois enceinte, cela change le regard des gens. Un pas était franchi. C’était puissant. J’ai aimé la cohésion de nos amis. Tous ont participé. Cela a donné de la chaleur, de l’amour. Tout le monde s’en souvient. C’était le premier mariage gay pour 100 % de nos invités. Il n’y a guère que le propriétaire de l’endroit où nous avons organisé notre fête qui a demandé au début où étaient nos maris… Mais après, il s’y est fait. Il est resté là toute la soirée et c’était sympa. Moi, même enceinte, j’ai tenu le coup jusqu’à 6 heures du mat. Et j’ai même dansé.»

Philippe et David 51 ans et 46 ans, chef de projet internet et cadre informatique, pères de jumelles de 9 mois, Montreuil, (Seine-Saint-Denis)

Ph. : «En 1995, de retour des Etats-Unis, n'ayant pas envie de passer par la case bar gay, j'ai passé une annonce sur la Radio Fréquence gay : c'est comme cela que j'ai rencontré David, un grand aux yeux verts, 23 ans, étudiant habitant chez sa mère… C'était en mars, on a emménagé ensemble dès l'été suivant. Déjà à cette période, je trouvais insupportable d'avoir des droits de citoyen de seconde zone. Nous nous sommes donc pacsés dès le vote de la loi Jospin en 1999. Et mariés le 31 août 2013. On a très mal vécu l'avant-mariage. Tous les matins, quand je marchais dans mon quartier, je voyais les inscriptions "un papa, une maman" écrites au pochoir sur les trottoirs ; dans les médias, il y avait également une déferlante de haine des opposants. Mais j'ai été content que le projet soit défendu par une femme noire, elle-même victime de l'intolérance pour sa couleur de peau : Christiane Taubira.

«Nous avions fixé la date du mariage à l'avance et, le jour du vote de la loi, nous avons tout organisé dans la panique. Le choix des costumes, le lieu de la fête, les faire-part… Nous avions décidé de marcher depuis chez nous, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, jusqu'à la mairie : environ vingt minutes à pied. Nous étions tous les deux en costumes trois-pièces, avec nœud papillon et orchidée au veston. Comme nous avions prévu un voyage de noces à Hawaï, nous avons demandé à Jacob, mon neveu de 5 ans, de distribuer à tous les invités qui nous accompagnaient des colliers de fleurs. Et nous avons eu la fierté de marcher tous ensemble ainsi vers la mairie, dans une sorte de procession assez drôle et avec le regard des passants presque tous bienveillants. Une belle revanche après le calvaire infligé par les antimariage.

«Pendant la cérémonie, nous sommes arrivés dans la salle avec nos pères et mères aux bras, avec pour musique de fond l'Eté indien de Joe Dassin. L'adjointe au maire était un peu larguée. Elle a demandé à David s'il voulait bien me prendre pour épouse. J'ai fait remarquer qu'il y avait erreur, éclat de rire général. Elle a recommencé son discours depuis le début. Quand nous avons échangé nos bagues, j'avais la larme à l'œil. Dans ma famille, on est quatre garçons. Pour l'instant, je suis le seul à avoir fait une vraie fête de mariage, durant laquelle j'ai fait danser ma mère. Un souvenir inoubliable.»

D. : «Lorsque nous nous sommes mariés, je prenais des anxiolytiques à cause de problèmes de santé. Cela m'a permis de gérer ce jour-là mes émotions. A la mairie, nous sommes entrés avec tous ceux que l'on aimait (familles et amis, une centaine de personnes dans une belle diversité). La femme de mon père et ses parents, qui sont de nationalité chinoise, étaient présents. Ils viennent d'un pays où le mariage homosexuel est impensable. Le père de Philippe, un ancien syndicaliste et homme politique, a fait un très beau discours, sur les droits des gays et sur le fait que nous ferions de très bons parents. A ce moment-là, nous étions en train de préparer un projet de GPA [gestation pour autrui, ndlr] aux Etats-Unis ; ce discours nous a vraiment touchés. Après la cérémonie, qui a eu lieu à 9 h 30, le seul horaire qui était libre, nous avons tous pris un petit-déjeuner dans un café parisien. Par la suite, un déjeuner froid a été servi aux familles et le soir un dîner à l'ensemble des invités.

«Lors de cette soirée, mon frère aîné a lu un poème qu'il avait composé, mon frère cadet a fait un super photomontage et, ma sœur, mes quatre frères et mon cousin germain ont fait une chorégraphie sur la chanson YMCA des Village People. A mourir de rire. Notre meilleur ami s'est travesti en blonde pulpeuse, façon Dolly Parton. Une sorte d'hommage à la culture homosexuelle. Cela a permis à tout le monde d'être très détendu.

«Parmi nos amis, nous avons été les premiers à nous marier. Ils ont vu que tout s’était bien passé et ils ont pu se projeter dans les mariages qu’ils étaient en train de préparer.»

Chris et Pascale 59 ans toutes les deux, anthropologues urbaines, unies le 19 octobre 2013 à Paris

«On a le souvenir d'une cérémonie à la fois extrêmement festive et intense. On est des activistes, donc elle mêlait forcément un peu de nos engagements politiques, militants et amicaux. C'était aussi un vrai mariage d'amour : beaucoup de proches sont venus témoigner leur soutien. Quand nous sommes entrées dans la salle des mariages de la mairie, Pascale a levé le poing en signe de victoire tout en entonnant un grand "yahouu". Enfin, on y était, après avoir beaucoup manifesté jusqu'au bout et sans trop croire que ce jour arriverait.

«On était aussi chacune au bras d'un des fils de Pascale et sa fille était là aussi, rayonnante et enceinte. C'était assez fort d'arriver ensemble avec nos gamins mais aussi nos cousins. A la sortie, toutes les copines de la Barbe se sont mises à faire une haie d'honneur : on a alors descendu les escaliers de la mairie entourées de barbues avant de jeter du riz de toutes les couleurs que l'on avait fabriqué nous-mêmes. Comme on a été mariées par une élue du XXe que l'on connaît bien, on se sentait vraiment en famille. Pour beaucoup d'amies lesbiennes, on a par ailleurs été les premières à se marier, c'est pour cela qu'il y avait sûrement cette intensité dans la salle. Parfois, on se dit qu'on a envie de revivre ce moment-là à nouveau.»