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Tolbiac : la police force la fac et dément tout «blessé grave»

Vendredi, à l’aube, les CRS ont débarqué dans l’université occupée. Une opération «sans incident» pour les autorités, mais les étudiants parlent de matraques et de blessures.
Après l'expulsion matinale par les CRS des occupants de l'université de Tolbiac, vendredi. (Photo Denis Allard)
publié le 20 avril 2018 à 20h26

Des jeunes, filles et garçons, fixent les CRS postés en masse en face du bâtiment gris comme des paysans regarderaient leur récolte bousillée par les grêlons. Un quinqua, tout de jean vêtu, dresse son majeur à l’endroit d’un petit groupe (étudiants, syndicalistes) en plein conciliabule. Il les accuse de mille choses aussi contradictoires qu’anecdotiques, dont d’être des suppôts du système. Scènes de crispation, d’extrême fatigue ou bien d’adrénaline : à l’aube, vendredi, la fac de Tolbiac, occupée depuis le 26 mars et symbole de la résistance étudiante à la réforme des universités, a été évacuée par les forces de l’ordre.

Tout le monde s'accorde sur le caractère supersonique de l'opération, laquelle se décompte en minutes : quarante-cinq au plus, aux alentours de 5 heures du matin, en période de vacances scolaires. Une cinquantaine de personnes passaient la nuit sur place - un amphithéâtre ayant été aménagé en dortoir. C'est sur le déroulé que les récits s'entrechoquent. Dans une déclaration, la préfecture de police de Paris loue une intervention exemplaire : «L'évacuation, qui a concerné 100 personnes, s'est déroulée dans le calme et sans incident.» Mais sur zone, des étudiants et leurs soutiens évoquent pêle-mêle des coups de matraque, des corps traînés sur le sol et, surtout, trois blessés, dont un dans un état très grave.

Sang. Mehdi, la vingtaine passée, bouche sèche et sparadrap au doigt, raconte : «Au regard de la chute, je ne vois pas comment il a pu s'en tirer.» Avant de dérouler une version largement partagée par d'autres aux abords de la fac : un policier aurait agrippé la personne alors qu'elle escaladait la grille pour fuir, ce qui aurait conduit à une chute violente sur la tête - le sang aurait coulé du nez et des oreilles. En l'état, le conditionnel n'est même pas un choix médiatique : quand on demande des détails, les témoignages sont ponctués de «il paraît que». Dans un second communiqué, vendredi soir, la préfecture de police a démenti les «rumeurs». «Aucun blessé grave qui puisse être en lien avec cette opération d'évacuation n'a été hospitalisé», insiste-t-elle, ajoutant que seul un jeune homme a été conduit à l'hôpital pour une «douleur au coude».

Georges Haddad, le président de Tolbiac, a publiquement exprimé son soulagement. Lui a toujours dépeint sa fac sous occupation en lieu de perdition - sexe, drogue, violence et dégradations. Tolbiac, depuis le 26 mars : un espace ouvert, qui par essence, draine de tout, du fervent militant au quidam (mal intentionné ou pas) attiré par la lumière (et les fêtes une fois la nuit tombée), en passant par le prof engagé et le gamin à peau de bébé en pleine quête intellectuelle. Le décor : des murs ridés et balafrés, qui ont traversé le temps pour le meilleur et surtout pour le pire, avant même le début de la mobilisation. La certitude : les opposants à l’occupation, qui dénonçaient la présence d’anarchistes surentraînés, prêts à mettre en échec la police, ont globalement fantasmé. La suite : personne ne sait vraiment, si ce n’est que Tolbiac restera fermée jusqu’en mai - les examens seront délocalisés.

Thatcher. Vendredi, les jeunes se sont dirigés vers d'autres facs, dans le mince espoir d'occuper de nouveaux établissements. Une quinqua en sandales accuse deux éléments surexcités d'être des policiers en civil, payés pour semer la confusion. Un type longiligne cherche des chaussures : il est en tongs et craint de ne pouvoir cavaler si la police revenait. Mehdi est rentré chez lui, épuisé. Sur l'évacuation à l'aube : «J'étais à l'intérieur. J'ai marché doucement, alors que tout le monde courrait, ce qui m'a certainement évité de prendre des coups. Le problème est que mon passeport et mes papiers sont encore à l'intérieur.» Il se décrit comme apolitique, cite le linguiste Noam Chomsky et compare Emmanuel Macron à Margaret Thatcher, en précisant qu'il n'a pas de dent particulière contre le Président. «Il y a trois jours, j'ai décidé de venir voir par moi-même avant de commencer mon CDI dans quelques jours. Je voulais me rendre utile.» En face de lui, trois CRS en plein cagnard, leur bâton à la ceinture à l'angle de la rue Tolbiac et de la rue du Javelot. Sereins.