Finalement, il y a bien un ministre de la Ville au gouvernement : s'il n'en a pas le titre, Jean-Louis Borloo semble en exercer la fonction. Mi-novembre, à Tourcoing, Emmanuel Macron a confié à l'architecte du Programme national de rénovation urbaine (PNRU) de 2003 le soin d'élaborer un nouveau «plan de bataille» pour les quartiers. De quoi susciter les espoirs les plus débridés parmi les élus et associations de banlieue. Cette popularité n'a d'égale que la déception suscitée, chez les mêmes, par le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard.
Officiellement chargé d'œuvrer «en faveur des quartiers défavorisés des zones urbaines et des territoires ruraux», l'ancien sénateur du Cantal, 70 ans, ne s'est guère illustré auprès des premiers. «En ce qui concerne la politique de la ville, Mézard semble égaré dans un univers qui n'est pas le sien, résume le maire d'une grande ville. C'est lui qui aurait dû porter la copie, mais il ne connaît pas ces questions. Pire : on sent qu'elles l'ennuient.» La facétieuse caméra de l'émission Quotidien s'était d'ailleurs fait un plaisir d'immortaliser les somnolences du ministre à Tourcoing, pendant le long discours présidentiel.
«Marquis technocrates»
Maire démissionnaire de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon a gardé un souvenir mitigé de la rencontre, le 15 mars, entre Jacques Mézard et des acteurs du dossier : le ministre «semblait plus intéressé par son chien que par ce que disaient les maires de banlieue», a-t-il confié au Monde. Président de l'association Ville et Banlieue et maire socialiste de La Seyne-sur-Mer, Marc Vuillemot abonde : «Le problème, c'est qu'il n'y a autour de lui que des marquis technocrates, choisis ou imposés. Mézard ne mesure pas la situation, mais personne ne l'aide à la mesurer.» Un ministre enfonce le clou : «Jacques ne s'intéresse qu'à la ruralité. Le centre du monde, pour lui, c'est Aurillac.»
Ce procès n'émeut pas l'Elysée. Autour de Macron, on veut bien reconnaître que le ministre n'est «peut-être pas un grand communicant». Mais il conserve «toute la confiance du Président qui, si ce n'était pas le cas, aurait pris les mesures qui s'imposent» : «C'est sous sa houlette que travaillent les administrations, et ce n'est pas une réunion mal ressentie qui détermine le poids d'un ministre.» De son côté, le ministre s'efforce d'afficher plus d'intérêt pour les questions urbaines. «Je n'ai pas l'habitude d'être en état d'apesanteur, a-t-il déclaré jeudi à Paris devant des élus et des associations. On va continuer à se voir et à se supporter, dans les deux sens du terme.»
Tropisme rural
Le natif d’Aurillac n’était pourtant pas destiné à gérer ces dossiers. En mai 2017, c’est l’Agriculture qui échoit à ce radical de gauche, réputé influent, roublard et ombrageux. Du sur-mesure : Mézard est un familier de la présidente de la FNSEA, puissant syndicat agricole, Christiane Lambert, et du patron de la Fédération nationale bovine, Bruno Dufayet. Richard Ferrand, de son côté, prend en charge les Territoires. Mais mis en cause dans une affaire immobilière, il quitte le gouvernement en juin. De mauvais gré, Mézard remplace son camarade.
Son tropisme rural est cependant la meilleure assurance du ministre. «Mézard ne nous sert à rien, il sert à autre chose, juge un élu socialiste. Macron n'a qu'une peur : qu'on lui reproche d'être éloigné de la ruralité.» Surtout, Mézard fait partie des proches du chef de l'Etat, qui n'oublie ni les ralliements précoces ni les services rendus. Fin 2016, alors que la présidente de son parti, Sylvia Pinel, participe à la primaire de gauche, Mézard appelle à soutenir le candidat d'En marche. Et, fort de ses réseaux, il ne vient pas seul. «Il est arrivé en disant : je t'amène dix sénateurs RDSE [Rassemblement démocratique et social européen] sur douze, et les députés radicaux, et puis deux présidents de conseils départementaux, et puis aussi le Parti radical, se souvient un parlementaire macroniste. Et la ruralité par-dessus le marché.» Et ce n'est pas fini : «Je pense que Macron compte sur lui pour rallier les radicaux en vue des européennes», poursuit l'élu. De quoi en faire, jusqu'à nouvel ordre, un intouchable du gouvernement.