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Libération
Reportage

Dératisation aux Batignolles : «Les produits les rendent hémophiles, ils meurent en trois ou quatre jours»

Dans le parc des Batignolles, dans le XVIIe arrondissement de Paris, la ville a déployé graines empoisonnées et pièges à noyade pour débarrasser le cossu jardin de ses hôtes indésirables.
Dératisation du Square des Batignolles à Paris, le 20 mars. (Cyril Zannettacci)
publié le 1er mai 2018 à 14h31

Avec les palmiers qui encadrent son entrée, le square des Batignolles se donne de faux airs de jardin méditerranéen. Niché au cœur du cossu XVIIe arrondissement de Paris, adossé à des voies ferrées, l'espace est charmant, avec ses pièces d'eau et ses jonquilles qui s'épanouissent dans les parterres. Un paradis pour les enfants avec ses multiples aires de jeux. Mais ce cadre enchanteur n'échappe pas à la prolifération des rats dans la capitale. Le jardin a d'ailleurs dû fermer ses portes pendant deux mois à la fin de l'année 2017 à des fins de dératisation. Désormais, ses quasi deux hectares de surface sont truffés d'une cinquantaine de boîtes piégées, où les rats, appâtés, pensent venir se restaurer alors qu'ils vont en fait s'empoisonner. En ces premiers jours de printemps, fin mars, deux agents de la Ville de Paris, du Département faune et actions de salubrité (DFAS) viennent relever les boîtes, les recharger et constater, s'il y a lieu, la présence de rongeurs trépassés.

Les rats ainsi empoisonnés sont promis à une mort lente et douloureuse. Les boîtes disséminées contiennent des sortes de tablettes rose vif, que les agents manipulent précautionneusement avec des gants. «Ce sont des produits qui les rendent hémophiles. Ils meurent au bout de trois ou quatre jours», explique Thierry, l'un des deux agents de la municipalité. Pourquoi infliger aux rats une si longue agonie ? L'explication confine au comportementalisme animal. «Si ça avait une action foudroyante, ça alerterait leurs congénères qui se méfieraient. Ils fonctionnent en société et envoient toujours un éclaireur», poursuit-il, du haut de ses 21 ans de métier. Certains systèmes sont encore plus élaborés. La mairie a investi dans des boîtes en hauteur que les rats sont obligés d'escalader pour accéder aux graines. Une fois au sommet, une trappe s'ouvre et le rongeur, piégé, bascule dans un bac tapissé d'un liquide alcoolisé. Emprisonné et intoxiqué.

«Le souci, ce sont les "nourrisseurs"»

Encore faut-il que le rat se laisse berner et consente à manger les tablettes ou les graines empoisonnées. Trompe-la-mort ? La bestiole est coriace. «Il préfère les restes qu'il va trouver, au poison qu'on met. Le gros souci qu'on rencontre, ce sont  les "nourrisseurs"», explique Xavier Dieu, agent de maîtrise du DFAS. «C'est un peu pour les éviter qu'il y a des fermetures des parcs et des jardins infestés», complète Joseph Daufour coordinateur technique du service. Par «nourrisseurs», comprendre les personnes qui abandonnent des restes de nourriture après un pique-nique, ou celles qui alimentent délibérément les rongeurs. A Paris, ce comportement est passible depuis le 1er octobre 2015 d'une amende forfaitaire de 68 euros, applicable aux incivilités en matière de propreté.

Depuis la fermeture du square des Batignolles fin 2017, l'infestation est beaucoup moins importante qu'auparavant. Au cours de cette ronde printanière – qu'ils effectuent de manière quasiment hebdomadaire – les dératiseurs de la Ville n'ont trouvé qu'un seul rat tué, peut-être mort depuis une semaine. Mais ils ont déniché un nouveau terrier. Non loin d'une entrée, au pied des grilles du parc, les rongeurs ont creusé un trou de près de vingt centimètres de diamètre pour y élire domicile. A surveiller, même si en l'observant, il ne semble pas y avoir âme qui vive. «Avant on mettait des graines empoisonnées directement dans le terrier et on le rebouchait. Ça nous permettait de voir s'il y avait de l'activité, si les rats sortaient. Mais en sortant, les graines se retrouvaient à l'air libre et les oiseaux les mangeaient. On a eu quelques soucis avec la LPO [Ligue de protection des oiseaux, ndlr]», raconte Xavier Dieu.

«Certains défenseurs des animaux cassent nos boîtes»

Aujourd'hui, la dératisation est davantage encadrée. Depuis un règlement européen de 2012, certains produits sont proscrits. L'usage des rodenticides – ou raticides – doit préserver autant que possible l'environnement et présenter des risques a minima pour les hommes et la faune. D'où le fait que les rongeurs sont désormais appâtés dans des boîtes, afin que les produits ne soient plus accessibles aux enfants en bas âge et animaux domestiques. «Les produits sont moins efficaces, on voit la différence», juge Xavier Dieu. Pendant leurs rondes, la cinquantaine d'agents du service doit aussi s'enquérir du bon état des pièges, qui sont parfois dégradés. «Certains défenseurs des animaux cassent nos boîtes», se plaint Serge.

Au cours de leur mission au square des Batignolles, plus routinière qu'urgente, Thierry et Serge inspectent chaque boîte et changent les tablettes, parfois à peine rongées. «Comparativement à d'autres sites, là ça va», note Thierry. Pour cet agent, qui officie dans le nord de la capitale, ce sont les XVIIIe et XIXe arrondissements qui sont les plus sujets à la prolifération des rats, même si aucune zone ne peut se targuer d'y échapper. «C'est là qu'on intervient le plus. Depuis une dizaine d'années, la dératisation revient beaucoup. Il y a toujours eu des rats mais ça n'avait pas l'ampleur de maintenant», analyse le dératiseur. Preuve de l'augmentation significative de la population de rongeurs, les moyens scientifiques déployés pour leur éradication. Certains cadavres sont conservés dans un congélateur entreposé dans les locaux du DFAS. A ses abords, une odeur âcre. Ouvert, l'air devient pestilentiel. A l'intérieur, une cinquantaine de rats morts attendent d'être expédiés au laboratoire pour analyser la molécule responsable de leur trépas et établir des statistiques. La lutte est âpre.