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Sondage

L’opinion se réjouit sans clivage

L'année 1968dossier
Notre sondage réalisé par Viavoice montre que Mai 68 ne divise plus les Français, nombreux à juger positive l’influence du mouvement.
publié le 1er mai 2018 à 19h06

Mai 68, les Français disent «oui». Nettement. Cinquante ans après les événements, 70 % des sondés interrogés par Viavoice pour Libération jugent positivement l'héritage, et donc l'impact sur la société, de cette révolte étudiante devenue grève générale ouvrière. Mais alors que le mouvement social peine à dépasser la succession des luttes catégorielles pour faire boule de neige et que la structure de la société a largement évolué en un demi-siècle, 60 % des Français doutent qu'un mouvement similaire puisse voir le jour dans la France de Macron.

Symbole

Au moins dans le débat public, le sujet Mai 68 n'a rien perdu, ou presque, de sa dimension polémique. Avec le temps, note Aurélien Preud'homme, directeur des études politiques de l'institut Viavoice, on aurait pourtant pu l'imaginer, «d'autant qu'aujourd'hui une grande partie des Français n'ont pas été les témoins directs des événements». Mais il souligne que «légitimement ou artificiellement, [Mai 68] a toujours déchaîné les passions, quel que soit le "côté de la barricade".» Dans le camp des procureurs décomplexés, on pense à Sarkozy, appelant en 2007 les électeurs, en votant pour lui, à «liquider une bonne fois pour toutes» l'héritage de Mai 68. Remettant ce symbole au cœur de la bataille culturelle, au nom de l'autorité et du travail. Une partie de la droite plus tradi, à la Wauquiez, dénonce, elle, d'abord dans 68 une «perte des valeurs, de la morale» (seuls 11 % des sondés adhèrent à cette accusation) quand ce n'est pas l'avènement de l'individualisme déraciné comme matrice première de la société. «Certains [lui] attribuent tous les maux, […] d'autres y attachent une certaine bienveillance nostalgique […], n'y voyant plus qu'une révolte de la jeunesse, quand d'autres enfin appellent régulièrement à recommencer : les derniers mouvements sociaux n'y ont pas manqué, avec un mot d'ordre répandu parmi les manifestants : "Mai 68 : ils commémorent, on recommence"», poursuit Aurélien Preud'homme.

Mais passé les cercles militants, intellectuels et médiatiques, le souvenir de Mai 68 est plus consensuel. L'étude de Viavoice pour Libération donne à voir une opinion plutôt homogène et moins caricaturale que nombre de ses représentants. Parmi les sept Français sur dix jugeant que Mai 68 a eu un impact positif sur la société française, le clivage partisan n'est pas spectaculaire : 88 % de soutien à gauche, mais aussi 77 % au centre et même 59 % à droite ou 68 % au FN. Une lecture sociale ou générationnelle n'apparaît pas plus pertinente : «Des cadres aux ouvriers, des aînés témoins directs des événements aux jeunes d'aujourd'hui, tous partagent pour une majorité d'entre eux un a priori positif sur l'héritage de Mai 68», détaille-t-on chez Viavoice.

Avancées

Mais quel est donc cet héritage qui vient nourrir le regard très majoritairement positif des Français sur Mai 68, alors que ces événements ont clivé le pays à l'époque? Loin de la caricature baba cool et libertaire à laquelle ses procureurs voudraient le réduire, dans la mémoire française Mai 68 reste en premier lieu un souvenir positif pour les avancées sociales et politiques rendues possibles par les utopies et les mobilisations populaires d'alors. «61 % des Français associent Mai 68 à une convergence des mobilisations entre étudiants et travailleurs, plus qu'à un mouvement de la seule jeunesse (19 %) ou circonscrit au monde du travail (14 %)», souligne Aurélien Preud'homme. Dans le bilan de 68, l'opinion retient d'abord la conquête de nouveaux droits sociaux (43 %), le «mouvement populaire» (41 %), loin devant la question des valeurs ou l'évolution des rapports entre individus (20 %).

Cinquante après, les Français ne versent pas pour autant dans «l'angélisme», souligne Viavoice : ils sont plus nombreux à associer Mai 68 à un mouvement «relativement violent» (47 %) que «pacifiste» (33 %). Cela n'empêche pas 38 % de la population d'affirmer se sentir proche des manifestants de l'époque, contre seulement 12 % soutenant plutôt le gouvernement. Autre chiffre intéressant : 51 % des Français jugent que les événements de Mai et leurs revendications d'émancipation collective, plus qu'un souvenir, sont toujours d'actualité. Mais si 43 % des sondés pensent que de tels événements pourraient se reproduire dans les années à venir en France, 46 % n'y croient pas. «Une large majorité de Français restent attachés à Mai 68 et son héritage, [mais] ils ne tombent pas pour autant dans l'image d'Epinal, ni dans l'idée qu'il suffirait de ressortir les drapeaux de Mai 68 pour refaire la "révolution"», conclut Aurélien Preud'homme. Les plus motivés pour un remake ? Les moins de 50 ans, notamment parmi les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers.

Sondage réalisé en ligne les 16 et 17 avril 2018 auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatif (méthode des quotas).