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Libération

5 mai : La justice entre en scène, les manifs se préparent

publié le 4 mai 2018 à 18h06

C'est la journée des juges. La veille, samedi, plusieurs étudiants ont déjà comparu en urgence. Les juges, constatant que les prévenus n'ont pas été pris en flagrant délit de déprédation ou de violence, mais seulement dans les manifestations, en possession «d'armes par destination», prononcent quelques peines de prison avec sursis. Mais entre-temps, venant de l'Elysée, des consignes de fermeté descendent les échelons de la chancellerie. Sensibles à ces instructions, alors qu'ils sont en principe indépendants, les magistrats condamnent six étudiants pris en fragrant délit à des peines de prison ferme. L'acte est décisif : le mouvement a désormais ses victimes et le mot d'ordre «Libérez nos camarades» deviendra le leitmotiv des manifestants. En fait, l'exécutif est divisé. De Gaulle considère qu'il faut faire des exemples pour dissuader les protestataires, qu'il voit comme une troupe minoritaire de trublions. Il veut étouffer la contestation dans l'œuf. Les ministres concernés, Louis Joxe, Premier ministre par intérim (Pompidou est en Iran), Christian Fouchet, ministre de l'Intérieur, et Alain Peyrefitte, ministre de l'Education, craignant l'opinion et peu soucieux d'avoir des morts sur la conscience, penchent pour l'indulgence. Mais le Général leur met l'épée dans les reins. Pendant ce temps, les leaders étudiants, qui ont reçu le soutien immédiat d'Alain Geismar, secrétaire général du syndicat de l'enseignement supérieur (Snesup), préparent les deux manifestations qu'ils ont prévu de tenir, l'une dans le Quartier latin pour soutenir les étudiants convoqués devant le conseil de discipline (dont Daniel Cohn-Bendit), l'autre à 18 h 30 place Denfert-Rochereau. Les maoïstes de l'UJC(ml) plaident pour une action en direction des usines, voyant dans les manifestations étudiantes un prurit «petit-bourgeois» qui ne mènera à rien. Ils sont mis en minorité. L'Unef, le 22-Mars et la JCR trotskiste ont compris que la protestation contre «la répression» est le levier de l'action collective. Avec Krivine, Weber, Bensaïd, ils imposent les mots d'ordre qui expriment la colère étudiante. Le service d'ordre de la JCR est décidé à affronter la police, préparant casques, gourdins et foulards pour se protéger des gaz lacrymogènes. Grimaud est inquiet : une répétition des violences du 3 mai mettrait ses troupes à rude épreuve. Et l'émeute risque de faire tache d'huile.