Cette fois ils joueront la légalité. Par deux fois, la veille (le 6 mai), les manifestations convoquées par l’état-major étudiant ont dégénéré. Le matin, réunis pour soutenir Cohn-Bendit et ses camarades traduits devant le conseil de discipline, les manifestants ont pris à partie la police autour de la Sorbonne. Il faut dire que le service d’ordre de la JCR, chapitré par Krivine et Weber, a décidé de frapper fort. Bien groupés, entraînés, casqués et armés de gourdins, ses membres ont plusieurs fois chargé la police, obligeant pour la première fois les forces de l’ordre à reculer. Les autres manifestants ont suivi de bon cœur, dépavant les rues, changeant le mobilier urbain en réserve de projectiles, construisant même de petites barricades éphémères. Le soir alors qu’à l’ébahissement des leaders, plus de 6000 étudiants sont réunis autour du Lion de Belfort, le cortège commence dans l’ordre et termine en émeute. Boulevard Saint-Germain, la police doit encore reculer devant les trotskistes de la JCR. On compte des centaines de blessés. Le gouvernement fustige l’action violente de groupes minoritaires, les leaders étudiants constatent surtout que jamais ils n’ont vu depuis le début de leur carrière une telle mobilisation. L’Unef et le Snesup, organisations syndicales classiques, craignent l’effet de la violence sur l’opinion : elles exigent que le défilé du lendemain soit pacifique.
Le 7 mai, le rassemblement a de nouveau lieu place Denfert-Rochereau. On tente de revenir vers le Quartier latin mais le préfet Grimaud a placé ses forces tout autour. Alors la manifestation se lance dans un vaste périple dans Paris, marchant jusqu’à l’Etoile puis revenant vers le boulevard Saint-Michel par la rive droite. Le défilé est pacifique. Les militants trotskistes empêchent un manifestant d’uriner sur la flamme de l’Arc de Triomphe, la foule passe près de l’Assemblée nationale avec indifférence, mais quand elle arrive au bas des Champs-Elysées, elle se révèle assez nombreuse pour remplir toute l’avenue. La démonstration de masse est réussie. C’est seulement le soir que les incidents reprennent, sporadiques mais très violents. La préfet Maurice Grimaud se demande avec angoisse si ses hommes engagés tous les jours et toutes les nuits pourront tenir encore longtemps.