Tandis que Laurent Wauquiez et les apparatchiks de sa famille sinistrée proclament, dans l'indifférence générale, que le grand chantier de leur «reconstruction» est ouvert, les électeurs, eux, sont de plus en plus nombreux à constater que la droite s'est trouvé un nouveau chef, et qu'il réside à l'Elysée. Toutes les enquêtes d'opinion constatent, semaine après semaine, une forte progression d'Emmanuel Macron à droite, corrélée à une dégringolade à gauche. Invités par Ipsos pour le Cevipof et le Monde à noter le chef de l'Etat sur une échelle de 0 (très à gauche) à 10 (très à droite), les Français placent aujourd'hui le curseur franchement à droite (6,7), alors qu'ils le voyaient encore au centre au début de l'année. Selon l'Ifop, 35 % des électeurs de Fillon en 2017 voteraient Macron si l'élection présidentielle avait lieu ce 7 mai. Dans son baromètre Kantar Sofres, le Figaro Magazine note ce mois-ci que 53 % des sympathisants LR sont «satisfaits» du président de la République.
Macron, champion de cet électorat attaché plus que tout à la liberté d'entreprendre mêlée d'autorité et de patriotisme ? Un cauchemar pour Wauquiez, qui voulait faire de ce jeune président un avatar de la gauche hollandaise et de la banque Rothschild, animé même par une irrémissible «haine de la province». Le patron de LR prêche dans le désert. Jusque dans les médias censés lui être favorables, la ligne anti-Macron est très loin de s'imposer. Le Figaro se montre souvent bienveillant. Pis : le chef de l'Etat a parfois droit aux louanges de Valeurs actuelles, l'hebdomadaire qui rêve d'une alliance entre LR et le FN.
A droite, l'audience de Macron déborde désormais largement les ralliés de la première heure, ces amis d'Alain Juppé et de Jean-Pierre Raffarin qui tiennent aujourd'hui les commandes de Matignon. Il suffit d'entendre l'enthousiasme d'un Philippe de Villiers, incarnation d'une sensibilité qu'on aurait pu croire aux antipodes du macronisme. «Je pense qu'il m'aime bien et que s'il avait une soirée à perdre, Macron préférerait la passer avec moi plutôt qu'avec [Christophe] Castaner», confiait-il la semaine dernière avec gourmandise au micro de BFM TV. Simple fanfaronnade du très provocateur vicomte vendéen ? Pas sûr : «Il y a sans doute un peu de vrai», concède un conseiller à l'Elysée. Un député LREM qui a ses entrées au château confirme : «Cette remarque est très cruelle pour Castaner, mais au fond, elle est assez juste. Il est clair que Macron est plus séduit par la figure d'un Philippe de Villiers que par tel ou tel porteur de motion du Parti socialiste.»
Apothéose
«L'honnêteté m'oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste», avait d'ailleurs tenu à préciser l'intéressé dès l'été 2016, alors qu'on l'interrogeait sur sa surprenante visite au Puy du Fou en sa qualité de ministre de l'Economie. Deux mois plus tôt, le 8 mai 2016, le patron de Bercy - déjà «en marche» mais pas encore candidat - avait passablement agacé ses camarades du gouvernement Valls en se rendant à Orléans pour célébrer Jeanne d'Arc, celle qui a su, selon lui, «fendre le système» pour «rassembler la France». Il fit ce jour-là ce que bien des électeurs de LR auraient pu attendre de Sarkozy ou de Juppé, alors favoris de la primaire : célébrer «cette histoire millénaire qui tient notre peuple debout», arracher au Front national l'héroïne qu'ils ont «confisquée au profit de la division nationale».
«Nous n'appartenons pas au même bord politique, paraît-il», avait-il conclu, remerciant le maire d'Orléans pour son invitation… Pas du même bord ? Olivier Carré avait de bonnes raisons d'en douter. Jeune député UMP de la majorité sarkozyste, il avait vu à l'œuvre, en 2007, le jeune Macron, rapporteur adjoint de la commission Attali sur la «libération de la croissance française». Il l'avait retrouvé en 2015, alors qu'il siégeait comme député d'opposition lors de l'examen de la loi Macron. «Je savais qu'il voulait faire bouger les lignes. Je savais aussi qu'il avait une réflexion sur l'histoire de notre pays», confie aujourd'hui Carré, l'homme qui offrit à Macron l'occasion de prononcer, devant plusieurs dizaines de milliers de personnes, son premier discours sur l'histoire et l'identité nationale.
Un an après la présidentielle, Olivier Carré compte, avec une vingtaine d’autres maires LR de grandes villes fédérés par le Niçois Christian Estrosi, parmi ces élus locaux de droite qui soutiennent sans états d’âme le chef de l’Etat et qui pensent pouvoir compter, aux prochaines élections municipales, sur le soutien de LREM.
Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France, en congé de LR, a le profil parfait de l'élu de droite Macron-compatible. Son seul problème : élu en 2014 grâce au désistement de la gauche, il peut difficilement ignorer cette dernière. C'est ainsi, magie de la recomposition macronienne, qu'un ex-ministre de Nicolas Sarkozy en est arrivé à dénoncer la dérive libérale et droitière du chef de l'Etat : «Il y a une tentation thatchérienne chez Emmanuel Macron. A tout prendre, je préfère encore Blair à Thatcher», dit-il cette semaine à l'Express.
Le 28 mars, l'hommage au colonel Beltrame et aux «valeurs» pour lesquelles il s'est sacrifié a été une sorte d'apothéose unanimement saluée à droite. Dans le documentaire diffusé ce lundi sur France 3 - Macron président, la fin de l'innocence -, le chef de l'Etat revient sur cette cérémonie aux Invalides et renvoie à leur médiocrité ceux pour qui «la France serait une espèce de syndic de copropriété où il faudrait défendre un modèle social qui ne sale plus». Ceux qui pensent que «le summum de la lutte, c'est les 50 euros d'APL» «ne savent pas ce qu'est l'histoire de notre pays», ajoute Emmanuel Macron. Il se trouve, sans doute n'est-ce pas un hasard, que le conseiller «mémoire et discours» du Président, Sylvain Fort, est l'un des rares conseillers du premier cercle à ne pas être issu de la gauche strauss-kahnienne. Proche de l'Institut Montaigne, le jeune normalien a fait partie, en 2011, du groupe d'experts et d'intellectuels chargés de faire remonter des propositions au candidat Sarkozy.
Procès
Macron, président de droite ? La thèse est contestée avec véhémence à l'Elysée, comme chez les marcheurs historiques. Selon un député LREM, la perception de ce début de mandat serait déformée par la nécessaire brutalité dans la mise en œuvre des réformes urgentes. «Là, on est dans la chirurgie de guerre», s'excuse-t-il. Mais il ne doute pas que le temps démontrera l'inanité du procès en dérive droitière, «quand le chômage sera tombé à 7 %, quand le dédoublement des classes de CP et les investissements dans la formation professionnelle produiront leurs effets…» Les plus optimistes des macronistes de gauche donnent rendez-vous le 22 mai, quand Macron présentera son «plan de mobilisation» pour les quartiers prioritaires et leurs 10 millions d'habitants, tragiquement éloignés, selon Jean-Louis Borloo, du «moteur de la réussite».
En attendant, le porte-parole de l'Elysée, Bruno Roger-Petit, soutient que la vraie leçon de cette première année de mandat, ce serait plutôt la fidélité de la base électorale du chef de l'Etat : «95% des électeurs du premier tour se disent satisfaits. Et ce sont, pour les deux tiers, d'anciens électeurs du PS.» D'ailleurs, selon Ipsos, 41 % des sympathisants socialistes ont toujours un avis positif sur l'action du chef de l'Etat. Agacé par la thèse d'un basculement à droite, on soutient à l'Elysée que le «pivot» de la macronie reste le centre gauche, «et non pas le centre droit, comme certains semblent tentés de le croire à Matignon…» Selon l'Obs, le plus écouté des visiteurs du soir de Macron, Philippe Grangeon, influente éminence de la deuxième gauche, aurait tenu à mettre les choses au point récemment en rappelant, en confidence, que c'est bien son ancrage à gauche qui définirait, aujourd'hui encore, «le macronisme casher». Il fallait que cela soit dit. Car ce n'était plus évident pour personne.