La marche du 7 mai jusqu'à l'Etoile n'a pas impressionné le Général. En Conseil des ministres, alors qu'Alain Peyrefitte explique la situation à l'université, De Gaulle se fait tranchant. L'enseignement supérieur a disposé de moyens considérables, dit-il, il faut démocratiser mais aussi sélectionner. Quant au mouvement étudiant, il faut l'étouffer dans l'œuf. «Une émeute, dit le Général, c'est comme un incendie, ça se combat dans les premières minutes.» Le Conseil publie un communiqué bref et ferme. L'Unef crie à la provocation : aucune des revendications étudiantes n'est abordée.
Pourtant, en coulisse, une négociation se noue. Par l’intermédiaire de la Fédération de l’Education nationale (FEN), l’Unef et le Snesup explorent avec le cabinet d’Alain Peyrefitte une possibilité de compromis : on relâchera les étudiants français, on gardera les autres, étudiants étrangers ou non-étudiants. Les syndicats sont tentés : en échange, la Sorbonne sera rouverte et la police se retirera. A l’Assemblée, le ministre laisse entendre qu’un apaisement est possible si la violence cesse. «De Gaulle a cédé», titre France-Soir. Mais l’état-major de la révolte, autour du 22-Mars et de la JCR, crie au scandale. Séparer les manifestants emprisonnés, c’est aller à l’inverse du mouvement, qui veut s’étendre hors de l’université, et abandonner une partie des manifestants arrêtés. Le soir, un meeting à la Halle aux Vins se déroule sous la pluie, morne et divisé. La base étudiante a vent du compromis : elle proteste énergiquement. Cohn-Bendit, Krivine, Péninou, Bouguereau plaident pour l’intransigeance : libération de tous les prisonniers, Sorbonne rouverte, police hors du Quartier latin. Ils ont compris que la masse étudiante veut encore en découdre, que tout compromis sera vécu comme une trahison.
Plus tard dans la soirée, alors que l’état-major du 22-Mars est réuni, Geismar, patron du Snesup, fait une entrée mélodramatique. Au bord des larmes, il dénonce le compromis qu’il a lui-même négocié au nom de son organisation et se range sur la position dure : acceptation des trois points ou poursuite du mouvement. On convoque une nouvelle manifestation pour le vendredi 10 mai à 18 h 30, aux abords du Quartier latin, qu’on cherchera à reconquérir. Tous les éléments du drame sont en place.