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Libération
Décryptage

Suppression de la taxe d’habitation : qui va payer ?

Un rapport est remis mercredi au Premier ministre pour éclaircir les pistes qui permettraient de financer la fin de cet impôt. Un vrai casse-tête pour l’exécutif.
Des avis d'imposition datés du 11 septembre 2013. Photo Denis Charlet. (AFP)
publié le 8 mai 2018 à 20h56

C’était l’une des principales promesses du candidat Macron, peut-être la plus populaire : supprimer pour 80 % des Français la taxe d’habitation, cet impôt prélevé par les communes et les intercommunalités. Mais comment financer cette mesure, désormais élargie à l’ensemble des contribuables ? C’est l’objet d’un rapport que remettront à Edouard Philippe le sénateur LREM Alain Richard et l’ancien préfet Dominique Bur, ce mercredi. Un document très attendu par les élus locaux, qui craignent de perdre de nouvelles ressources dans ce chantier à plus de 20 milliards d’euros.

Pourquoi cette réforme ?

Un impôt «injuste», pesant avant tout sur les classes moyennes : ce constat sévère justifiait, selon le candidat Macron, de supprimer la «TH» pour les 80 % les moins aisés des ménages - en réalité 65 %, les 15 % les plus modestes en étant déjà exonérés. Coût de cette disparition en trois étapes, de 2018 à 2020 : environ 10 milliards d'euros. Mais la facture n'a pas tardé à grimper. «Si cet impôt est mauvais pour 80 % des Français, il a peu de chance d'être bon pour les 20 % restants», a constaté le chef de l'Etat devant le congrès de l'Association des maires de France (AMF), en novembre dernier, proposant l'extinction complète de la taxe d'habitation afin d'éviter une future censure du Conseil constitutionnel. Selon Bercy, ce nouveau cadeau coûterait 8 à 9 milliards d'euros supplémentaires. Une somme qui n'est pour l'instant pas prévue dans la trajectoire budgétaire française 2018-2022.

Pour les membres du gouvernement, l'addition totale de cette réforme serait donc de 18 milliards d'euros. Mi-mars, Alain Richard évoquait, lui, un manque à gagner de 24 milliards d'euros en 2020. Pour compenser cette perte de ressources pour les communes, c'est une «refonte en profondeur de la fiscalité locale» qu'a proposée le chef de l'Etat. Charge au duo Bur-Richard, missionné en octobre, d'en dessiner les contours.

Quelles sont les pistes ?

Le rapport proposera plusieurs options, confie un ministre, qui évoque un document «très, très technique». Et dont «la seule ligne rouge sera : pas d'impôt nouveau». La piste la plus sérieuse consisterait à réaffecter des impôts existants pour dédommager les communes. Soit en leur attribuant une fraction d'un impôt national, comme la CSG ou la TVA. Soit en leur transférant tout ou partie des droits de mutation (les fameux «frais de notaires») et l'ensemble des revenus de la taxe foncière, actuellement partagée entre communes, intercommunalités et départements. Ces derniers récupéreraient alors une part de fiscalité nationale. Cette deuxième option semble avoir les faveurs du gouvernement. «On prend à Pierre pour habiller Paul. C'est du bricolage, reproche Jean-François Debat, maire PS de Bourg-en-Bresse et président délégué de Villes de France. La part départementale de la taxe foncière ne couvre pas l'ensemble de la taxe d'habitation. L'Etat devra compenser.» Il faudra donc trouver un nouveau système de péréquation entre les communes. Car certaines (notamment en zone urbaine) seraient perdantes. Demain, elles percevraient moins en taxe foncière, qu'autrefois en taxe d'habitation. Une fois le rapport en main, le gouvernement a prévu une concertation avec les associations d'élus avant de rendre ses arbitrages.

Les impôts vont-ils augmenter ?

Non, assure le chef de l'Etat. «Il n'y aura pas de création d'un nouvel impôt local ni national, et pas d'augmentation de la pression [fiscale], a promis Emmanuel Macron dans son interview télévisée du 15 avril. Nous compensons à l'euro par les économies de l'Etat, et […] on donnera à l'une des collectivités un bout d'impôt national.» Le 26 avril, dans le Parisien, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, insistait : «Il n'y aura pas de tour de passe-passe où l'on supprime des milliards pour aller les chercher ailleurs.» Il était important de le préciser : en janvier, la ministre auprès du ministre de l'Intérieur Jacqueline Gourault avait envisagé la mise en place d'un «impôt plus juste».

En mars, devant la commission des finances de l'Assemblée, Alain Richard avait lui aussi évoqué la création «d'un impôt local citoyen, demandé au gouvernement par une grande majorité des maires». Hors de question, a tranché l'exécutif. Ce dernier envisage toutefois de maintenir une forme d'imposition sur les résidences secondaires. De quoi réduire, selon Bercy, la facture de 2,5 milliards d'euros et éviter au gouvernement de se voir à nouveau reprocher sa bienveillance envers les plus aisés. Le gouvernement s'est aussi engagé à réformer les valeurs cadastrales, base de la taxe foncière, qui n'ont pas bougé depuis les années 70. Une révision qui fera forcément des perdants. Mais ce nouveau calcul se fera «au mieux» en 2023, selon Alain Richard. Voire, a expliqué Darmanin, «progressivement, sur une période d'environ trente à quarante ans».

Qu’en disent les élus ?

La remise du rapport est un moment important dans les orageuses relations entre l'Etat et les collectivités. Maîtrise de la dépense, prise en charge des mineurs migrants, réforme de la formation professionnelle, coupe dans les emplois aidés… Autant de dossiers qui ont envenimé les relations entre Paris et les territoires depuis un an. Du côté des départements, on refuse d'avance d'échanger les impôts locaux contre une part de prélèvements nationaux. La réforme «ferait perdre toute autonomie fiscale aux exécutifs départementaux et porterait ainsi atteinte au fondement même de la démocratie et de la décentralisation», a protesté lundi l'Assemblée des départements de France.

Chez les maires, en revanche, on verrait d'un bon œil le transfert de la taxe foncière au niveau municipal : «Autant il n'y aurait pas grand sens à donner une part de TVA aux petites communes, autant il paraît logique que la taxe foncière, impôt local par excellence, revienne au niveau le plus localisé», fait valoir un porte-parole de l'AMF. Au risque, pour l'exécutif, d'éteindre d'un côté l'incendie municipal pour le rallumer à l'étage départemental.