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Libération
Analyse

Le référendum à toutes les sauces

publié le 10 mai 2018 à 17h26

Demander par un vote leur avis à ses salariés, ses adhérents ou ses concitoyens, sur le papier l’initiative a tout de vertueux. Mais quand un chef de l’Etat ou le leader d’un parti, le patron d’une entreprise ou même une intersyndicale s’en remet à une telle consultation, c’est évidemment avec l’idée d’en sortir gagnant ou au moins renforcé. L’arme s’avère toutefois à double tranchant tant une défaite délégitime illico son initiateur. Sans évoquer De Gaulle en 1969 ou Cameron puis Renzi en 2016, qui ont tous trois chu par voie référendaire, le cas d’Air France l’a, à moindre échelle, illustré.

Pour contourner les syndicats de la compagnie, à commencer par celui des pilotes, le PDG Jean-Marc Janaillac a abattu cette carte. Laquelle, à la surprise générale, lui fut fatale pour avoir mis sa démission dans la balance. Les salariés n’ont-ils répondu qu’à la question posée ? Le PDG sorti aura du temps pour refaire le match. Il a joué, il a perdu, la grève continue.

A la SNCF, ou plutôt au sein de l'intersyndicale, la partie est d'une autre nature. Il s'agit de retrouver de la voix pour sortir de l'ornière, alors que la stratégie initiée par la CGT d'une grève deux jours sur cinq n'a rien donné. Preuve qu'il y a urgence à trouver un nouveau souffle, mercredi a été la plus faible journée de mobilisation tandis que le gouvernement affiche sa fermeté. Officiellement, l'objet de cette consultation (du 14 au 21 mai) est d'interroger les cheminots sur leur adhésion ou non à la réforme. Mais pour la CGT, à l'origine de cette proposition de «vote action», l'enjeu est aussi de faire légitimer par une forte participation la poursuite du mouvement dans les conditions actuelles, plutôt que la bascule dans une grève reconductible autrement plus paralysante. Une option défendue depuis le début par SUD et de plus en plus par la base CGT. Alors qu'un rejet massif de la réforme semble acquis, on se demande bien en quoi cela viendrait significativement renforcer le front syndical. Etrange initiative.

Le référendum, le vrai, reste l’apanage du chef de l’Etat. Il est alors un outil de verticalité absolue puisqu’il revient à enjamber le Parlement via un dialogue direct entre le leader et «son» peuple. Mais là encore, la logique plébiscitaire - et donc potentiellement régicide - l’emporte sur la question posée. On comprend que ni Sarkozy ni Hollande ne s’y soient aventurés et combien il serait risqué pour Macron d’y recourir pour sa réforme constitutionnelle. Ça, c’est pour la théorie. Dans les faits, on retiendra surtout qu’en 2005, c’est le Parlement qui a servi au pouvoir à contourner son peuple après que celui-ci se soit «mal» exprimé par référendum, abîmant et la démocratie et l’Europe. Plus récemment dans le dossier Notre-Dame-des-Landes, on peut à la fois saluer l’abandon du projet et regretter qu’un référendum, au périmètre contesté et (donc) au résultat piétiné, se soit tenu.

Ces réserves mises à part, dans un pays où la démocratie représentative ne l'est plus assez et où les corps intermédiaires sont écartés de l'élaboration de la loi, il faut se réjouir que des consultations se multiplient. Et si dans l'entreprise, elles sont toujours suspectes quand elles portent sur des questions sociales, dans la sphère publique elles vivifient bien souvent le débat. Mais à l'opposé de l'usage césariste du référendum, il s'agit bien davantage de créer le cadre d'une «démocratie continue», autrement dit de penser l'exercice démocratique entre les élections. En passant, pour le dire vite, du stérilement consultatif au réellement participatif, dans une Ve République qui donne puissamment la main au seul chef de l'Etat. Dépasser le binaire «oui/non» ou le syndrome du «avec moi ou contre moi», n'était-ce pas aussi cela la promesse du «et en même temps» ?