A force de se garer de mauvaise grâce dans de lugubres parkings souterrains, on a fini par oublier que les garages de Paris ont longtemps monté leurs étages à partir du sol. Avec parfois, des allures de palais.
On l'a oublié car pour la majorité d'entre eux, ces édifices ont été détruits. Pourtant, ces «immeubles pour automobiles», comme les désigne une exposition au Pavillon de l'Arsenal (1), valaient le coup d'œil. Sous-titrée «histoire et transformations», cette recension fera regretter au visiteur bien des destructions tant il est évident de nos jours que ces édifices, souvent fort beaux, représentaient un patrimoine. Et aujourd'hui, au moment où l'usage de la voiture décroît dans Paris, un potentiel pour de nouveaux usages. Pourtant, c'est bien dans la capitale, entre 1891 et 1914, que la construction des premiers garages démarre, en écho logique à celle des premières automobiles, ces jouets de luxe.
Entre les deux guerres, à partir de 1920, l'édifice devient plus technique. Ce sont les «grands garages modernes», souvent bâtis par les constructeurs automobiles, qui en font également leur vitrine commerciale. L'époque invente la rampe d'accès, plus commode que les «monte-voiture» mécaniques.
A partir de 1946, la production de voitures explose, le stationnement extérieur se généralise et les villes commencent à se tourner vers le parking souterrain pour soulager un peu la voirie. Le premier est creusé en 1964 sous les Invalides tandis qu’en 1976, le dernier modèle en élévation est édifié porte de la Chapelle.
Que reste-t-il de tout cela? L'exposition énumère ce qui est encore debout dans Paris. Pas seulement par goût du patrimoine mais aussi pour faire la démonstration que ces immeubles peuvent avoir une seconde vie. Des transformations d'anciens garages pour un nouvel usage, il n'y en a pas beaucoup aujourd'hui dans la capitale. Celle du 11 rue Béranger, qui fut remanié à la fin des années 80 par l'agence Canal pour abriter les locaux de Libération, figure dans l'exposition. Léonard Lassagne, du cabinet Data Architectes, commissaire de l'exposition: «C'est le premier exemple vraiment emblématique de cette transformation.»
C'est une rareté. Comment la reproduire ? Une fois vidé des voitures, un parking est un «squelette capable», écrivent les commissaires. Ils le prouvent. Sur la base de garages existants et avec de jolies maquettes en bois, ils montrent comment réaliser la transformation la plus difficile en termes de normes et d'usage: en faire des logements. «On pourrait employer la méthode simple et brutale: démolir, évacuer les matériaux puis construire en repartant de zéro, écrivent les ingénieurs Raphaël Ménard et Félix Pouchain dans la présentation de l'expo. Pourtant, fondations, poteaux, poutres et planchers sont là: ne pas les utiliser serait aberrant.» En reconvertissant les deux tiers des 600 000 m2 de surface des garages de Paris, les deux spécialistes estiment qu'on pourrait créer 6 000 logements. Et économiser «80 000 tonnes de CO2, soit les émissions de près de 10 00 Parisiens pendant un an».
(1) «Immeubles pour automobiles, histoire et transformations», Pavillon de l'Arsenal, 75 004, jusqu'au 2 septembre.
Quatre garages pour quatre époques
1891-1914: Ponthieu Automobiles, la façade vers 1907
Dû à Auguste Perret, l'édifice était, selon les termes de son auteur, «la première tentative au monde de béton esthétique». Entre les vitraux monumentaux de la façade et les quelques somptueuses vues de la verrière d'intérieur soutenue par d'élégantes arches de béton, on mesure ce qui a été perdu avec la démolition de 1970.
1920-1939: La Motte-Picquet Garage, avant la fin du chantier en 1929
Dû à l'architecte Robert Farradèche, c'est le garage moderne par excellence. D'autant plus que Farradèche y implante une double rampe d'accès, sens montant et descendant imbriqués, innovation absolue à l'époque. Classé en 1986, l'édifice est encore visible au 6 rue de la Cavalerie, Paris XVe.
1946-1973 Grand garage Bir Hakeim, la rampe en 1958
Construit en 1954 par l’architecte Leon Doboin, cet outil technique était sans doute suffisamment performant pour trôner encore aujourd’hui au 22 quai de Grenelle dans sa fonction automobile, sous enseigne Renault. La rampe circulaire sur sept niveaux est toujours là. Mais le grand vide central qui en faisait la majesté, bouché par des petits bureaux, n’est plus perceptible.
1973-2018. Transformation d’un garage rue Béranger (1987)
Les architectes Patrick et Daniel Rubin (agence Canal), transforment en 1987 les derniers niveaux d'un garage pour y loger les bureaux du journal Libération. Les demi-niveaux et la rampe sont conservés, renforçant la fluidité des circulations. Le journal aura passé presque trente ans dans cet immeuble mixte qui hébergeait aussi des automobiles. Et qui peine aujourd'hui à trouver un nouvel usage.