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Interview

Patrick Artus : «Il faut mieux associer les salariés aux périodes de prospérité»

Pour l’économiste Patrick Artus, ce que le rapport d’Oxfam dénonce est caractéristique du capitalisme anglo-saxon.
Une proportion grandissante de gestionnaires d'actifs ont pris part au capital des sociétés du CAC 40 depuis 2012 (Photo Thomas SAMSON. AFP)
publié le 13 mai 2018 à 19h46
(mis à jour le 14 mai 2018 à 12h02)

Directeur des études de la banque Natixis, l'économiste Patrick Artus publie, avec la journaliste Marie-Paule Virard, Et si les salariés se révoltaient ? Un livre où il plaide pour l'émergence d'une voie qui prenne ses distances avec les dérives du système actionnarial anglo-saxon.

Comment percevez-vous ce rapport d’Oxfam ?

Il s’efforce à sa manière de décrire ce nouveau capitalisme globalisé qui privilégie systématiquement l’actionnaire et le rendement du capital au détriment de la rémunération du travail et de l’investissement. Mais il faut faire attention lorsque l’on part du CAC 40 et de son territoire d’origine pour asseoir sa démonstration. Ces entreprises sont certes françaises sur le plan juridique et cotées à Paris, mais elles sont surtout mondiales dans leurs activités.

Qu’est-ce que cela change ?

Mettre en balance 67 % de profits dépensés en dividendes et 6,9 % dévolus à l’intéressement et à la participation des salariés est un biais statistique. On ne peut pas comparer cette redistribution salariale dans un pays qui représente une petite part de leur activité avec des profits réalisés dans le monde entier. Le débat soulevé par Oxfam a toute sa pertinence, mais il ne s’applique pas dans ce cas précis à la France.

Pourquoi ?

La part des salaires dans le PIB a continué à augmenter récemment et a globalement suivi celle de la productivité, ce qui n’est pas le cas des autres puissances comme les Etats-Unis, le Japon ou l’Allemagne. Au sein du capitalisme anglo-saxon, la rentabilité exigée du capital tourne autour de 15 %. En Europe, on est plus à 8 % ou 9 %. Ce qu’Oxfam décrit est donc caractéristique du capitalisme américain, moins du capitalisme européen.

Vous écrivez «les salariés partagent les risques mais pas les profits».

Les dérèglements du marché du travail vers toujours plus de flexibilité ont abouti à transférer l’essentiel des risques vers les salariés. Normalement, c’est celui qui prend le plus de risques qui doit être en premier rémunéré. Mais ce n’est plus le cas. Il faut mieux associer les salariés aux périodes de prospérité en jouant sur toute la palette des modes de rémunération.

Que faut-il faire pour changer ce capitalisme mondialisé qui apparaît de plus en plus déconnecté des salariés ?

Il n’y a rien d’étonnant à ce que les entreprises cotées se soient rapprochées du modèle dominant imposé par les Anglo-Saxons. Elles ont souvent les mêmes actionnaires qui en moyenne ne sont pas des résidents de la zone euro à 35 %. Pour les entreprises du CAC 40, ce chiffre dépasse les 50 %, et les Américains détiennent un tiers de leur capitalisation. Si l’on veut changer en profondeur leur gouvernance, il faut que plus de nationaux détiennent des actions, ce qui serait une petite révolution culturelle.