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Libération

15 mai : les ouvriers entrent en scène

publié le 14 mai 2018 à 19h06

Cette fois le doute n’est plus permis : le monde salarial entre dans la danse. Six jours après la nuit des barricades, deux jours après la grande manifestation du 13 mai, la grève commence. Les ouvriers ont été choqués par la répression anti-étudiante ; puis ils ont vu le gouvernement reculer brusquement ; ils ont en travers de la gorge, entre autres, les ordonnances de l’été précédent qui ont réformé la Sécu à la hussarde et le «plan de stabilisation» de Giscard qui a ralenti la croissance du pouvoir d’achat et provoqué l’apparition du chômage ; c’est le moment de faire avancer les revendications, la section syndicale dans les entreprises, la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires et, par-dessus tout, la protestation contre une condition ouvrière implacable, avec horaires interminables, tâches mécaniques et répétitives, salaire payé encore à l’heure, discipline quasi militaire. A Bouguenais, chez Sud-Aviation, à Renault-Cléon, les prémisses du mouvement apparaissent : grève avec occupation ici, assemblée générale là. Eugène Descamps l’a senti le premier au niveau national : il réunit les responsables de la CFDT et lance le mot d’ordre de grève générale. Georges Séguy et la CGT sont pris à contrepied. Ils voulaient à tout prix éviter la jonction entre les étudiants qu’ils détestent, surtout Daniel Cohn-Bendit ; les voilà contraints de suivre un mouvement de solidarité avec les manifestants du Quartier latin. Comme il est trop tard pour arrêter la machine, il faut s’efforcer d’en prendre le contrôle. Alors Séguy, à son tour, lance le mot d’ordre de grève immédiate. Il commencera par la SNCF (il est ancien permanent cheminot). En arrêtant les trains, la CGT paralyse le pays et assure l’extension du mouvement ; elle peut aussi, si elle le souhaite, siffler la fin de la partie. Mais nul besoin de consignes nationales : un peu partout en France, les ouvriers, souvent des jeunes sans grande expérience syndicale, imposent les débrayages. Le même jour, la commune étudiante trouve un troisième foyer d’agitation après Censier et la Sorbonne : le théâtre de l’Odéon dirigé par Jean-Louis Barrault, qui doit céder la place à un comité d’occupation péremptoire qui change la salle de spectacle en forum permanent. La grève ouvrière donne sa force au mouvement. La contestation parisienne, sous le signe de l’imagination libérée, lui donne sa couleur.