Sans elle, il n’y aurait sans doute pas eu d’affaire Tariq Ramadan. Malgré les menaces, Henda Ayari, longue chevelure brune déployée sur les épaules et maquillage soigné, n’hésite pas, depuis qu’elle a été la première à porter plainte pour viol, le 20 octobre 2017, contre le théologien musulman, à s’exposer médiatiquement. Mais cette fois, c’est devant les trois juges d’instruction en charge du dossier qu’elle a dû raconter, pendant de longues heures, sa version de l’affaire, mardi à Paris.
L'affaire est très complexe, notamment en raison de l'ancienneté des faits. Henda Ayari accuse en effet Tariq Ramadan de l'avoir violée au printemps 2012, dans un hôtel à Paris situé près de la gare de l'Est, ce que nie catégoriquement le théologien. Pendant sa garde à vue, les 31 janvier et 1er février, Ramadan a reconnu avoir croisé Henda Ayari. Mais dans de tout autres circonstances.
Chronologie des faits imprécise
Devant les policiers, Tariq Ramadan a expliqué, selon des sources proches du dossier, l’avoir rencontrée une seule fois, en marge d’une conférence qu’il aurait donnée le 6 avril 2012, lors de la grande journée de rencontres organisée chaque année par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), au Bourget (Seine-Saint-Denis). A la fin de son intervention, Henda Ayari qui portait un foulard, selon Ramadan, serait venue discuter avec lui. Selon les dires du théologien, elle aurait confié qu'elle se serait prostituée par le passé et lui aurait demandé si cela pouvait lui être pardonné. Henda Ayari affirme, elle, que c’est Tariq Ramadan qui l’aurait contactée, via Facebook, à la suite de la publication d’une photo de profil où elle apparaissait non voilée.
C'est sans compter avec de grosses imprécisions sur la chronologie des faits. Début décembre, la défense du théologien versait au dossier une copie d'écran d'un des nombreux téléphones portables de Ramadan. «Je suis désolé (sic) si ma photo vous a choqué, ce n'était pas vraiment mon intention», y écrit Henda Ayari. Ce message est daté du 23 avril 2012, c'est-à-dire plus tard que les dates de séjour de Tariq Ramadan à l'hôtel où se serait produit le viol. D'après des éléments de l'enquête, Ramadan a bien séjourné à l'hôtel de la gare de l'Est à Paris, où il avait manifestement ses habitudes. Il y demandait d'ailleurs fréquemment la même chambre et parfois opérait lui-même ses réservations sous un nom d'emprunt.
Propositions sexuelles
Très offensive depuis qu'elle est assurée par Me Emmanuel Marsigny, la défense de Tariq Ramadan met fortement en cause «la crédibilité du récit» d'Henda Ayari. Contrairement à ses premières déclarations, celle-ci aurait été en contact avec Tariq Ramadan après le viol dont elle l'accuse. A l'automne, la défense du théologien a produit des copies d'échanges, notamment sur Facebook, datant de 2013 et de 2014.
Dans certains de ces messages que Libération a pu consulter, Henda Ayari fait des propositions sexuelles explicites à Tariq Ramadan. Elle a plaidé, elle, «l'emprise psychologique» sous laquelle elle se serait trouvée vis-à-vis de Tariq Ramadan pour expliquer la poursuite de la relation. Dans le cadre de l'enquête, des femmes témoignant sous X ont, elles aussi, relaté, de manière circonstanciée, une relation d'emprise exercée (parfois pendant plusieurs années) par le théologien à leur égard. C'est aussi l'un des points sensibles du dossier.
Ancienne salafiste, se revendiquant désormais militante laïque, Henda Ayari a créé une association, Libératrices, afin d'aider les femmes confrontées au fondamentalisme religieux. Lors de son passage sur Europe 1, en avril dernier, elle regrettait le peu de soutien qu'elle a reçu de la part des associations féministes à la suite de la plainte déposée contre Tariq Ramadan et du harcèlement dont elle fait l'objet. «Cela m'a vraiment surprise […], insistait-elle. Je me pose des questions par rapport à ce silence.»
Robe en cours d’expertise
Dans l’affaire Ramadan, plusieurs expertises sont en cours, notamment celle conduite sur une robe remise par la troisième plaignante, «Marie», qui a déposé plainte contre le prédicateur le 7 mars pour des viols répétés. Les résultats sont imminents. Ce vêtement, selon Marie, porterait des traces de sperme du théologien, ce qui accréditerait, outre les nombreux messages échangés entre elle et Tariq Ramadan, l’existence d’un lien entre eux. Face à ces éléments, le théologien a été contraint, fin avril, de faire évoluer sa défense et de reconnaître au moins une relation sexuelle avec Marie.
Le 5 juin, Tariq Ramadan sera interrogé par les trois juges d'instruction sur les accusations de viols portées contre lui par Marie. Auparavant, le 22 mai, la chambre de l'instruction devra statuer sur la demande de remise en liberté de Tariq Ramadan. Me Marsigny a fait appel du refus formulé le 7 mai par le juge des libertés et de la détention. «Je m'opposerai au huis clos lors de cette audience», prévient l'avocat. Il compte en faire une tribune médiatique pour dénoncer ce qu'il considère comme un traitement uniquement à charge contre le théologien.