«C'est un sabotage», fulmine une voix d'Europe 1 qui ne veut pas apparaître publiquement. Arrivée cet été pour relancer une antenne en perdition, comme beaucoup d'autres journalistes et animateurs, elle pensait avoir du temps pour y parvenir et se projetait sur trois ans. Huit mois ne se sont pas écoulés depuis la rentrée de septembre que la radio, dont la grille des programmes n'a cessé d'être modifiée ces dernières saisons, s'apprête encore à tout changer. «C'est un truc de fou, ils recommencent leurs conneries, mais cela ne peut pas marcher. C'est le bougisme qui a tué cette radio. Il n'y a pas de recette magique, sinon de la constance et de la persévérance», poursuit la même source. Un cadre du groupe : «C'est le "fébrilisme" typique de la maison. Alors qu'il aurait été raisonnable de serrer les fesses et de prendre du temps, on tente un coup, on fait de la com. C'est une logique de court terme contradictoire avec celle de la radio.»
Un nouveau patron a été nommé mercredi : un ex de la maison, Laurent Guimier, qui officiait dernièrement comme directeur des antennes et des programmes de Radio France (à ce poste, il sera bientôt remplacé par le journaliste Guy Lagache). Il débarque en sauveur. Un de plus. Il y a un an, le même rôle était endossé par Frédéric Schlesinger, qui occupait avant Guimier le fauteuil de numéro 2 de Radio France. Recruté par Arnaud Lagardère lui-même, Schlesinger est passé devant le super DRH du groupe il y a dix jours pour discuter de ses conditions de départ. Une bonne partie de l’état-major actuel d’Europe 1 devrait sauter avec lui.
«Gauchisme». Le sort du matinalier Patrick Cohen, débauché l'été dernier à grand fracas de France Inter où il officiait depuis 2010, semble déjà scellé. Il ne devrait pas rempiler la saison prochaine. «Son travail n'est pas en cause. C'est injuste, mais ça ne colle pas», souffle-t-on en haut lieu chez Lagardère. Où l'on explique recevoir des dizaines de courriers d'auditeurs chaque semaine se plaignant de Cohen. «Trop politique», résume-t-on. C'est-à-dire trop marqué «gauche Inter» pour une antenne plutôt de centre droit ? A cet instant, l'échange avec les huiles de Lagardère devient plus sibyllin. Du côté de la direction en partance, on conteste cette interprétation : d'après des études, le principal reproche fait à la future ex-vedette d'Europe 1 était un manque de convivialité, plus qu'un biais idéologique. «Ce procès en gauchisme ne tient pas debout. Aucun fait ne permet de l'étayer. Cela s'appelle une campagne», s'agace-t-on.
Quoi qu’il en soit, «l’audience est juge de paix», reprend-on dans le camp de l’actionnaire. L’éphémère équipe de Schlesinger paie ses pâles résultats. D’après Médiamétrie, la radio, qui avait fortement décroché sous la direction de Denis Olivennes, ne comptait plus que 3,7 millions d’auditeurs quotidiens en janvier-mars, près de 500 000 de moins sur un an. L’antenne, dont la perte opérationnelle s’est élevée à 19 millions d’euros en 2017 à cause de ressources publicitaires en chute, est complètement larguée par les deux radios généralistes leaders : RTL (6,6 millions d’auditeurs) et Inter (6,1 millions). La refonte de la grille cette saison, autour de Patrick Cohen, n’a pas provoqué de rebond. «Nous n’avons pas réussi à relancer la radio, c’est vrai. Mais nous avons stabilisé son audience, à quelques dizaines de milliers d’auditeurs près, alors qu’elle en a perdu 900 000 les deux saisons avant nous», se défend l’entourage de Schlesinger.
Dès la fin décembre, le patron opérationnel d’Europe 1, mécontent du budget communication lui étant accordé, a compris qu’il était en sursis. Une réunion avec Lagardère et son directeur des relations extérieures, homme de confiance et d’influence, Ramzi Khiroun, très attentif à ce qui se passe à Europe 1, s’est terminée sur des éclats de voix. Schlesinger, qui demandait du temps pour installer ses programmes, s’est heurté à Khiroun, qui exigeait des changements rapides dans la grille à la demande de son patron. «Avec Ramzi, il faut se soumettre, lui faire allégeance, sinon c’est la guerre des tranchées», remarque un bon connaisseur du groupe Lagardère, qui constate que les deux précédents patrons d’Europe 1, Alexandre Bompard et Denis Olivennes, ont connu la même bataille en interne. «Mais Ramzi n’est pas un mec de programmes», poursuit cette source. En s’opposant à Khiroun et Lagardère, Schlesinger, affaibli par ses audiences, a signé son arrêt de mort. C’est dans la presse qu’il a appris que Guimier devait le remplacer.
«Un peu plus bas». «Ça commence à se voir, le système Lagardère. En juin, on te recrute à prix d'or et tu es exceptionnel. En janvier, on ne te parle même plus», constate, effaré, un homme de radio approché l'an dernier pour prendre la tête d'Europe 1. Et de conclure : «Chaque année, la situation se reproduit, mais c'est de plus en plus grave, l'audience tombe un peu plus bas. Je crois que, tant qu'Europe 1 appartiendra à Arnaud Lagardère, la radio ne s'en sortira pas.» Début 2017, le grand patron avait repris la présidence de la station, promettant de s'impliquer personnellement dans sa relance. Selon plusieurs sources, il n'a pas mis les pieds à Europe 1 cette saison.