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Libération
Edito

Caractère

En 1993, avec son père, Jean-Luc Lagardère, qui mourra dix ans plus tard. (Photo LESAGE.NECO.SIPA)
publié le 16 mai 2018 à 20h56

En 1995, alors qu’il bâtissait un des groupes les plus puissants du pays, Matra-Hachette, improbable fusion des armes, des médias et de l’édition, Jean-Luc Lagardère se confiait ainsi : «Louis XIV voulait que son dauphin fasse mieux que lui. Moi, je veux que mon fils élargisse ce que j’ai fait. […] Il faut du caractère pour diriger un groupe, surtout par mauvais temps. Moi, j’ai du caractère. Une chose dont je suis sûr à propos de mon fils, c’est qu’il en a aussi.» Pas modeste, donc, le paternel, mais pas très clairvoyant non plus. Par bon ou mauvais temps, Arnaud Lagardère a très peu fait preuve de caractère. Pire, même, par désintérêt ou incompétence, il a dilapidé l’héritage légué par son père. De l’empire, il ne reste que quelques miettes, croustillantes certes, mais inodores et sans saveur comparées aux gros morceaux rassemblés par le père sous la bannière de Matra-Hachette puis d’EADS, devenu Airbus. Arnaud Lagardère a une circonstance atténuante : il n’aurait pas dû hériter si tôt. Son père se comparait non seulement à Louis XIV mais aussi à Dieu, il se croyait éternel. Quand il meurt brutalement d’une maladie nosocomiale, en 2003, au faîte de sa puissance, son fils n’est pas prêt à lui succéder. Outre les batailles d’héritage, il doit gérer les ego des proches de son père, les fameux «Lagardère boys» comme on les appelait, l’affaire Clearstream et son corbeau issu de leurs rangs, la catastrophe industrielle de l’A380, etc. Il va vite être dépassé. D’autant que l’aéronautique et les armes ne l’ont jamais intéressé, il est capable de sécher un conseil d’administration pour assister à un match de Roland-Garros. Le pire, c’est que ses centres d’intérêt - le sport, les nouvelles technologies (on l’appelait «Son Emergence» à ses débuts) - étaient de bons filons. Mais il n’a pas su les exploiter, toujours à contretemps. Il se contente de profiter de la vie et des dividendes, assuré de ne jamais être viré grâce au statut de la commandite verrouillé par son père. Le fils de Louis XIV, Louis de France, n’a guère laissé de trace dans l’histoire mais lui, au moins, avait une excuse : il n’a pas eu le temps de régner.