Le Medef va bientôt perdre l'un de ses meilleurs arguments pour réclamer aux gouvernements de nouvelles «baisses de charges» : le fameux «coût du travail» en Allemagne n'a jamais été aussi proche de celui de la France. Selon Destatis, l'Office allemand de la statistique (l'équivalent de notre Insee national), pour une heure travaillée en 2017 chez nos voisins, les entreprises ont dû débourser en moyenne 34,50 euros pour l'emploi d'un salarié. Chez nous, ce coût horaire de la main-d'œuvre était l'an passé de 36,80 euros. Soit un écart de 2,30 euros, le plus faible depuis des années. En 2012, il était par exemple de 3,90 euros. En 2016, de 2,90 euros. A ce rythme-là, l'embauche d'un salarié français coûtera donc moins cher que celle d'un même salarié en Allemagne. C'est d'ailleurs le cas dans l'industrie manufacturière depuis 2014. En 2017, l'écart entre les deux pays dans ce secteur-là était de 2,10 euros… en faveur de la France.
«Cette reconvergence est le résultat, d'un côté, du dynamisme salarial allemand constaté depuis plusieurs années et, de l'autre, de la modération du coût du travail avec la mise en place du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité, explique Emmanuel Jessua, directeur des études du cabinet COE-Rexecode, proche du patronat français. Avec deux bémols : d'une part, l'ajustement français porte exclusivement sur la baisse des cotisations des employeurs, et d'autre part, lorsqu'on regarde les coûts salariaux unitaires (soit le coût horaire de la main-d'œuvre rapporté à la productivité horaire du travail, ndlr) l'écart entre la France et l'Allemagne reste très important : le CICE et les mesures du pacte de responsabilité ont permis de rattraper seulement un quart du retard pris depuis les années 2000 et les réformes Schröder.» Argument que ne manquera pas d'utiliser le patronat français pour demander à l'actuel gouvernement de nouvelles mesures.
«Baisse de charges» ou modération salariale
Depuis plusieurs mois, le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, tente ainsi de pousser Matignon et l'Elysée à arbitrer dans ce sens. «Nous ne sommes pas encore suffisamment compétitifs, notamment par rapport à nos voisins allemands», avait-il expliqué en novembre, «considèr[ant] qu'il faut ouvrir ce débat sur les allègements de charges au-dessus de 2,5 smic.» Pour le Premier ministre, c'est (pour l'instant) non. Pas question de redonner l'impression de «cadeaux» aux entreprises quand ces dernières, en 2019, bénéficieront à la fois du CICE au titre de l'année 2018 et, en plus, de baisses durables de cotisations patronales.
En tout cas, les statistiques allemandes sur le coût horaire de la main-d'œuvre en Europe – qui confirment une première étude de l'office européen Eurostat – vont beaucoup plaire à François Hollande et ses soutiens socialistes. «Le problème de l'Europe, ce sont les écarts de compétitivité. Ce sont les déficits de compétitivité qu'il faut rattraper», avait-il lancé en 2013 peu après la création en France du CICE. Le chef de l'Etat d'alors disait ainsi vouloir empêcher que l'«écart [ne] se prolonge entre la France et l'Allemagne». En réalité, si l'écart s'est réduit des deux côtés du Rhin, c'est surtout parce que la France a contenu une progression des salaires par une baisse des cotisations patronales quand l'Allemagne, en situation de quasi-plein emploi, a introduit un salaire minimum dans les services et vu les syndicats arracher d'importants accords après des années de modération salariale. Le patronat pourrait y trouver là un autre argument : à défaut de bénéficier de nouvelles «baisses de charges» de la part d'un exécutif devenu frileux sur le sujet, ce serait, de leur point de vue, aux salariés de renoncer à leurs augmentations au nom de «la compétitivité des entreprises françaises».