Confier les radars embarqués à des opérateurs privés, fausse bonne idée ? Le Canard enchaîné a publié ce mercredi le contenu d'une note interne du ministère de l'Intérieur remettant en cause la légalité de ce système… alors qu'il a déjà été déployé en Normandie en avril et qu'il est censé être progressivement étendu aux autres régions d'ici 2020. Cette externalisation consiste à placer des agents de société privée aux commandes de voitures de police ou de gendarmerie équipées de radars embarqués.
Dans sa note en date du 30 mars 2017, alors que le dispositif était testé en Normandie depuis février de la même année, la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) de Beauvau met en doute trois points. Un tel dispositif pourrait être «possible» s'il était «prévu par la loi». Ce qui n'est pas le cas, selon le Canard enchaîné. Deuxième réserve, les agents privés affectés à cette mission courraient un risque de voir leur contrat requalifié en «prêt de main-d'œuvre illicite», une infraction au code du travail. Adressée à Emmanuel Barbe, délégué à la Sécurité routière, la note émet un troisième bémol sur «l'impossibilité» de vérifier la «moralité des agents». C'est-à-dire le fait de fournir un extrait de casier judiciaire, poursuit l'hebdomadaire.
Expérimentation passée
En dépit de ces réserves énoncées au printemps dernier, l'appel d'offres pour le marché normand a été lancé le 20 avril suivant. En septembre, le ministre Gérard Collomb annonçait officiellement sa volonté d'instaurer cette externalisation. Le temps de l'expérimentation passé, cinq voitures de l'Etat pilotées par des agents privés sillonnent les routes de l'Eure depuis le 23 avril 2018 et distribuent des PV. Contacté par Libération, le ministère de l'Intérieur reconnaît implicitement l'existence de cette note mais minimise sa portée en expliquant qu'il s'agit d'un document «de préparation de l'appel d'offres du marché d'externalisation» des radars embarqués en Normandie. Quant à Emmanuel Barbe, il était indisponible pour répondre à nos questions.
Gérard Collomb a tenté d'éluder le sujet mercredi sur RTL. «Si vous voulez parler de l'expérimentation qu'on a faite, on a fait effectivement une expérimentation. […] L'expérimentation était possible. Ensuite, c'est de savoir si l'extension est possible. […] C'est d'une clarté parfaite», a défendu le ministre. Problème : depuis le 23 avril, ce n'est plus une «expérimentation» qui a lieu en Normandie, mais bien une «mise en service» de ces véhicules qui ont commencé à verbaliser, selon le communiqué de presse publié le 20 avril par la Délégation à la sécurité routière. Et une «extension» est déjà prévue aux autres régions.
Rémunérés au forfait
Depuis septembre, Beauvau tente d'apaiser les réticences des forces de l'ordre en expliquant que cette mesure a pour objectif de les recentrer sur des missions de sécurité, et de déminer les accusations des associations d'automobilistes, qui dénoncent une machine à cash, en assurant que les sociétés sont rémunérées au forfait, et non au nombre de PV dressés. Depuis qu'il a appris l'existence de cette note, Pierre Chasseray se frotte les mains. Pour le délégué général de l'association 40 Millions d'automobilistes, qui a déposé un recours devant la plus haute juridiction administrative, «un Etat responsable ne met pas en place un système jugé illégal par ses services. La sécurité routière, c'est pas du pognon». Fin avril, la Délégation à la sécurité routière concluait son communiqué en écrivant qu'«à terme, tout le parc de voitures-radar, actuellement conduites par deux policiers ou gendarmes, seront transformées en mode "conduite externalisée". Après la Normandie, un deuxième marché sera lancé prochainement pour l'équipement d'une ou plusieurs régions. Le territoire métropolitain sera intégralement équipé d'ici à 2020.» Un calendrier toujours d'actualité ?