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Portrait

Jean-François Corty, y met du soin

Le praticien engagé, candidat à la présidence de Médecins du monde, s’indigne de la manière dont l’Etat français traite les réfugiés.
(Photo Fred Kihn pour Libération)
publié le 22 mai 2018 à 17h06
(mis à jour le 22 mai 2018 à 18h54)

Il a un sourire simple d’enfant, un sourire naïf et clair. Sur ses épaules, on ne sent peser ni le poids du passé, ni la fatigue des missions humanitaires qu’il a accumulées depuis bientôt vingt ans, ni la moindre lassitude après les innombrables petits et gros conflits qui peuplent la vie quotidienne des ONG. Au point qu’il veut présider, le mois prochain, aux destinées de Médecins du monde (MDM). Sur la planète des French doctors, Jean-François Corty affiche un nouveau visage, voire symbolise une nouvelle génération. Et s’il fallait établir une filiation, ce serait plutôt avec Rony Brauman, l’intellectuel qui décortique, avec brio, les enjeux des crises mondiales, qu’avec Bernard Kouchner, l’intuitif séducteur qui a su engendrer des enthousiasmes.

A 47 ans, Jean-François Corty n'est pas un novice. Sa valise est bien chargée. Il a bourlingué du Liberia à l'Afghanistan, en passant par l'Iran, le Niger ou l'Erythrée, et, aujourd'hui, il dirige les opérations internationales de Médecins du monde. Il a fait aussi de l'économie et de l'anthropologie, et aime discuter, débattre. Lorsqu'on le qualifie d'«intellectuel engagé», il s'agace. Et tout de suite évoque l'importance du «terrain». Basique…

Son itinéraire a pris une nouvelle consistance avec la crise des migrants qui, à ses yeux, a fait ressortir une autre crise, celle des valeurs. «La question migratoire nous bouscule, lâche l'homme de gauche, car elle révèle le comportement de notre société. Ce que l'on voit, c'est un Etat qui ne met pas en avant des principes élémentaires de solidarité. Or, cela nous rappelle que ce même Etat ne le fait pas non plus pour les plus pauvres et les plus mal lotis de chez nous. Comme si la solidarité n'était pas une priorité.» Et de citer les symptômes : «En France, 15 % de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, 30 % retardent leurs soins ou ne se soignent pas, plusieurs millions n'ont pas de logement ou vivent dans des logements précaires. Ces indicateurs montrent que les inégalités sont bien présentes. Pour agir, il faut être convaincu que la solidarité est une valeur à défendre, ici comme ailleurs. L'attitude vis-à-vis des migrants est le miroir de nos sociétés.»

Jean-François Corty vient d'achever un très beau livre. La France qui accueille (éditions de L'Atelier) est un voyage dans un pays mal connu . Un ouvrage tonique qui détaille les mille et une actions locales : «Dans ce périple, on voit que la question migratoire a inventé d'autres formes de solidarité. Regardez Malick, habitant de Sarcelles, livreur à Paris, qui passe tous les jours devant le campement Porte de la Chapelle et qui a alors lancé un "défi" sur Facebook, appelant les autres quartiers à faire mieux.» D'autres initiatives, très locales, très particulières, très personnelles, se sont ainsi développées. «La France n'est pas frileuse, elle est ouverte», dit-il. On a compris, Jean-François Corty adore le terroir, le rugby, la pêche à la mouche, mais il déteste les frontières.

Bouger est son histoire, lui qui est né à Agadir, au Maroc. A 8 ans, ses parents, français, père dentiste et mère enseignante, viennent vivre près de Toulouse. «L'ouverture et le voyage, c'est cela qui m'a fait choisir la médecine, raconte-t-il. C'était pour moi un passeport vers le monde.» Le voilà bénévole à Médecins du monde, puis médecin généraliste dans un centre de soins, avant de partir en missions pour Médecins sans frontières (MSF) pendant sept ans. Avec son ami d'université, Nicolas Peyre, sociologue, il développe une autre passion : la musique. «On dirige ensemble une marque de disques, on a créé une structure qui a vocation à produire des groupes, dans le jazz comme dans la musique classique.» Souvent, lorsqu'il vient parler de son livre, il se fait accompagner de musiciens.

En 2009, après des années de voyages, il rejoint Médecins du monde en tant que directeur des opérations France. «Le fait d'avoir grandi dans un milieu rural m'a sensibilisé à la question de la précarité», insiste-t-il. Il pousse alors à la création de missions de santé de Médecins du monde au cœur des déserts médicaux dans la campagne, comme près de Clermont-Ferrand. Jean-François Corty a dû passer outre l'agacement des élus locaux trouvant méprisant que des ONG viennent s'occuper d'eux. En 2015, nouvelle étape : il prend la responsabilité des missions internationales. La progression professionnelle est rapide, sans oublier deux enfants, une séparation, et aujourd'hui une famille recomposée.

«La question migratoire revient quotidiennement dans mon activité à Médecins du monde, recentre-t-il. Je suis effrayé que depuis dix ou quinze ans, on n'accueille seulement quelques migrants précaires et qu'on n'en fasse pas plus. Peu importe que les gouvernements soient de droite ou de gauche, le refrain est le même. Pour justifier cette fermeture des portes, le pouvoir utilise la violence comme moyen de gestion de la politique migratoire, autorisant les forces de l'ordre à détruire les lieux de vie à Calais, Dunkerque ou Paris.»

Aujourd'hui, c'est donc la suite logique. Jean-François Corty se présente à la présidence de Médecins du monde. Le voilà prudent, diplomate, un peu engoncé dans un discours langue de bois. Pour la première fois, il y a en effet plusieurs candidats en lice. Dans les ONG, on le sait, les élections renvoient à des cocktails complexes, entre salariés, bénévoles, jeunes et vieux militants. Qui va remporter cette élection interne ? Nul ne veut trop en parler. «Médecins du monde est une organisation militante. On agit sur le terrain, puis on témoigne de ce que l'on voit sur la base des opérations menées pour faire changer les choses», détourne Jean-François Corty.

Ecoutons d'autres personnes, alors, sur la situation actuelle. «On adore parler de rupture dans l'histoire des ONG, dissèque Rony Brauman, président historique de MSF. Mais MSF comme MDM se sont créés aussi autour de la question des réfugiés. Aujourd'hui, il y a une continuité dans l'esprit. Pour le reste, ce qui me paraît intrigant et difficile, c'est le gigantisme actuel des ONG, cela devient un problème. On le voit avec MSF, avec maintenant le poids énorme des procédures, des cadres légaux qu'il faut suivre.» Autre son de cloche, celui d'un ancien président de Médecins du monde : «Aujourd'hui, on ne parle plus des bénéficiaires. L'enjeu est ce que l'on appelle "la localisation de l'aide". Ce sont les ONG locales qui sont essentielles, décisives. Or la quasi-totalité des financements internationaux vont aux grosses ONG internationales.» Là encore, c'est une frontière nationale-internationale que devra s'atteler à dépasser Jean-François Corty s'il est élu.

1971 Naissance à Agadir (Maroc).
1998 Diplômé en médecine.
2009 Directeur de la mission France de Médecins du monde.
Juin 2018 Election du président de Médecins du monde.