Mireille Knoll a-t-elle été tuée parce qu'elle était juive ? Le corps de la retraitée de 85 ans, malade de Parkinson, a été retrouvé lardé de onze coups de couteau, en partie calciné, à son domicile du XIe arrondissement de Paris, le 23 mars. Son meurtre avait provoqué une vive émotion et le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) avait organisé une marche blanche pour lui rendre hommage. Deux suspects ont été mis en examen dans cette affaire. Yacine M., 28 ans, ancien voisin de Mireille Knoll, et Alex C., 21 ans. Ils sont accusés d'«homicide volontaire» et de «vol aggravé». Dans la qualification des faits, le parquet de Paris a retenu le caractère antisémite. Les deux individus, qui auraient fait connaissance en prison, s'accusent mutuellement du meurtre, faisant valoir les intentions crapuleuses de l'un et de l'autre.
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Alex C. a été auditionné à deux reprises le 26 mars par les policiers du 2e district de police judiciaire de Paris. Il a ensuite été entendu le 13 avril par la juge d'instruction. Selon le Parisien, le suspect aurait opéré un «revirement à 180 degrés» dans son récit à la juge, fragilisant la circonstance aggravante d'antisémitisme, qui avait été retenue par le parquet au terme de ses deux premières auditions. Libération a pu consulter les procès-verbaux de ces trois interrogatoires.
«La rage»
Entendu une première fois par les enquêteurs, Alex C. avait déclaré que le ton de la conversation était monté entre Yacine M. et l'octogénaire au cours de l'après-midi du 23 mars. «Lors de la conversation, Yacine m'a expliqué qu'il avait la rage car il avait été dénoncé par cette femme pour du trafic d'armes. Madame Knoll n'a pas vraiment entendu car la télévision marchait et elle ne faisait pas attention. Yacine parlait de la Grande Guerre et de celle de l'Algérie et des juifs. Il reprochait aux juifs d'avoir les moyens financiers et une bonne situation.» Pour lui, Yacine M. a tué Mireille Knoll parce qu'il avait «la haine contre elle».
Des propos qu'Alex C. a maintenus lors de sa seconde audition par les policiers toujours le 26 mars. D'après lui, Yacine M. s'en serait pris à la vieille dame parce qu'elle «l'avait balancé en raison de son trafic d'armes et du fait qu'il n'avait pas pu se rendre à l'enterrement de sa sœur» pendant qu'il purgeait sa peine de prison. En réalité, il est établi que Yacine M. a été incarcéré en raison d'une condamnation pour agression sexuelle sur la fille de l'ancienne auxiliaire de vie de Mireille Knoll, et non pour trafic d'armes. Au moment où Yacine M. aurait asséné les coups fatals à Mireille Knoll, ce dernier aurait crié «Allahou Akbar», a également raconté Alex C. aux enquêteurs.
Trois semaines plus tard, le 13 avril, face à la juge d'instruction, Alex C. a maintenu son récit antérieur mais avec une variante. Réitérant la version selon laquelle Yacine M. s'en serait pris à Mireille Knoll par vengeance, et qu'il aurait crié «Allah akbar» en lui assénant les coups de couteau, l'individu a expliqué qu'avant le meurtre de l'octogénaire, alors qu'ils se trouvaient tous les trois dans le salon, «madame Knoll et Yacine M. parlaient en même temps, Yacine de la Libération de l'Algérie et madame Knoll de la guerre 39-45 et de l'extermination des juifs». Contrairement à ce qu'il avait affirmé en garde à vue (le 26 mars), Alex C. n'a pas maintenu les propos sur les «moyens financiers» des juifs que Yacine M. aurait reprochés à Mireille Knoll.
Revirement ou pas
Interrogé sur ce point précis, le suspect a expliqué qu'il s'était trompé et s'est rétracté. «J'ai cru entendre parler de certaines conversations qu'en fait je n'ai pas entendues. […] Quand j'étais en garde à vue, j'étais sous le choc», s'est justifié Alex C. Yacine M. s'en serait-il pris à Mireille Knoll «en raison de son appartenance à la communauté juive ?» lui a demandé la juge. «Je ne pense pas», a répondu Alex C.
Pour Me Laouafi, qui défend Alex C. avec son confrère Me Murgulia, son client n'a pas fait de volte-face devant la juge d'instruction. «Ça aurait été un revirement s'il avait clairement dit en garde à vue que le mobile était antisémite, estime-t-il. Or le 26 mars, il a affirmé que le mobile était tout autre.» A l'inverse, pour l'avocat de la famille de Mireille Knoll, la modification des déclarations d'Alex C. est un véritable revirement. Mais, estime Me Goldnadel, cela ne fragilise pas la qualification antisémite. «Si Yacine M. a dit "Allah akbar", je pense que c'est un motif antisémite qui fait bon ménage avec le crime crapuleux», déclare l'avocat de la famille, qui juge «ridicule» la rétractation d'Alex C. sur les propos qu'aurait tenus Yacine M. concernant la situation financière des juifs. Contacté par Libération, l'avocat de Yacine M., Fabrice de Korodi, n'était pas joignable. Pourquoi Mireille Knoll a-t-elle été tuée ? Qui lui a porté les coups de couteau ? Deux mois après les faits, les responsabilités ne sont pas établies et les circonstances restent floues.