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Libération
Reportage

A Paris, aux quatre coins d'une «marée populaire» contre Macron

Le cortège parisien a rassemblé plus de 30 000 personnes samedi à l'appel d'associations, de syndicats et de partis de gauche.
Lors de la manifestation du 26 mai à Paris. (Photo Boris Allin. Hans Lucas pour Libération)
publié le 26 mai 2018 à 18h07

Sur le terrain, toutes les couleurs de l'opposition : politiques, syndicats, associations et anonymes. Tout au long du parcours, des sourires et des revendications. Un nouveau coup de pression au chef de l'Etat, Emmanuel Macron afin de le freiner dans sa course aux réformes, notamment celle de la SNCF. L'objectif de l'unité est atteint mais celui du nombre toujours pas - ils étaient 31 700 selon le comptage indépendant du cabinet Occurrence pour un collectif de médias (dont Libé) - les organisateurs annoncent 80 000, la préfecture 21 000. Mais tous les opposants sont sur la même longueur d'onde : le «combat continue». Libération est allé sonder les motivations et la détermination dans quatre zones de cette «marée populaire» qui a défilé de Gare de l'Est à Bastille.

En tête avec les collectifs de banlieues

«On ne peut compter que sur nous»

On leur avait promis la meilleure place, celle sur le devant de la scène. Elus et citoyens de banlieue étaient bien présents en tête de cortège, ce samedi, à l'appel du Comité justice et vérité pour Adama Traoré. Ils étaient tous réunis derrière une banderole reprenant les paroles du morceau Grand Paris du rappeur Médine «c'est nous on braque paris c'est nous l'grand Paris». «Une façon de dire à Macron qu'on n'a pas besoin de son plan, qu'on se débrouille seuls mais qu'il faudra compter sur nous», nous glisse l'un des manifestants venu du 93. C'est leur mot d'ordre, porté notamment par l'élu de Saint-Denis Madjid Messaoudene présent tout devant : puisque le président a renoncé au plan Borloo, ils prônent l'«auto-organisation». «On est là pour dire que les quartiers s'organisent, qu'on compte que sur nous-mêmes. Il y a un vrai mépris de l'Etat aujourd'hui sur la question des quartiers populaires, on l'a vu avec le plan Borloo qui était en fait un plan de départ.» A ses côtés, au centre, Assa Traoré et l'écrivain Edouard Louis vêtus de t-shirt «justice pour Adama» scandent les traditionnels chants «tout le monde déteste la police».

Un peu en retrait, Imra, un salarié de McDonald's habitant de Gennevilliers, plaide aussi pour l'organisation des quartiers populaires. Le jeune homme, âgé de 23 ans, n'est pas un habitué des manifestations, mais a répondu à l'appel lancé sur Facebook. «On peut compter que sur nous. Ici on voit plein de drapeaux des partis politiques, mais nous on les voit jamais chez nous.» Avant d'adresser un dernier tacle à Macron : «C'est le président des riches, nous on habite en banlieue on est pauvres. Donc, c'est pas notre président.»

Dans le cortège syndical

«Quand le Medef sera moins content, ça ira déjà mieux»

Des milliers de drapeaux rouges et de la musique. Au centre de la «marée populaire», le long du boulevard Magenta (nord de Paris), la CGT occupe l'espace. Pendant que des enceintes crachent du Kassav, François, la casquette du syndicat vissée sur la tête, échange avec des militants. «C'est bien ce que font Attac et Copernic (les associations qui ont appelé à la mobilisation, ndlr), mais c'est plutôt sociétal», confie le quadragénaire. Il poursuit: «Nous, on est là avec des revendications, pour défendre le service public.» Il complète: «C'est le creuset de la République, le garant de la laïcité et de l'égalité […] pas question qu'il soit privatisé !»

Tous les secteurs de la CGT se sont retrouvés là. Y compris la CGT spectacle. Daniel, 72 ans, fait partie du service d'ordre de cette branche du syndicat : «Je milite depuis 50 ans. Je me suis battu contre Mitterrand, Chirac, Sarkozy… Aujourd'hui c'est pour mes petits enfants que je me bats.» Révolté contre «le verrou de Bercy» et les «80 milliards envoyés dans les paradis fiscaux», Daniel appelle de tous ses vœux au prolongement de la lutte. Pour toujours ? «Quand le Medef sera moins content, ça ira déjà mieux» rétorque-t-il.

Alors que Philippe Martinez, entouré de dix gardes du corps, transperce la foule sous les applaudissements, Jérémy allume un fumigène et trace les lettres CGT sur le sol. «J'ai fait toutes les manifestations» lance le cheminot. «Mais celle-ci est exceptionnelle !» Pour la suite, il prévoit d'accentuer le mouvement : «On a ce qu'il faut dans le sac… Il faut qu'ils s'attendent (le gouvernement ndlr) à des opérations "coup de poing"!»

Alors qu’Yvan Le Bolloch commence son concert sur la scène d’un char, le flot de militants poursuit sa «marée» vers la place de la République.

Du côté des politiques

«Cette journée permet d’afficher une belle unité»

A quelques pas de la Gare de l'Est, à Paris, la conférence de presse se termine, les organisateurs s'éparpillent : chaque tête file en direction de son camp dans le cortège. Benoît Hamon est habillé comme un dimanche : ni costume, ni cravate. Il a l'air content, «une belle journée». Il s'arrête devant quelques micros : «La démocratie, ce n'est pas dire oui à Macron qui développe la guerre du tous contre tous. Il refuse le dialogue, sa politique est violente.»

Un peu plus loin, le porte-parole de EE-LV est à la cool. Julien Bayou se faufile dans le cortège, les mains dans les poches, à la recherche des écolos. On l'interroge sur la «marée populaire». Il répond : «Je ne suis pas certain que cette journée réglera tout. Mais elle permet d'afficher une belle unité, ce n'est pas la journée de la France insoumise ou des syndicats. Elle appartient à tout le monde : les jeunes, les banlieues, les associations, les travailleurs… La suite peut-être intéressante.»

Une de ses collègues s'approche, elle guette le cortège et dit : «Tu as vu toutes les pancartes de la France insoumise ?» Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon distribue des pancartes à la sortie du métro. L'écolo reprend : «Je ne suis pas certaine que Martinez apprécie de voir des pancartes de la France insoumise dans tout le cortège.» Les organisateurs de la «marée populaire» pourront en discuter lundi lors de la réunion pour dessiner l'avenir de «la lutte».

Dans le cortège, on voit aussi des choses nouvelles : le chef des communistes, Pierre Laurent, fait des blagues. Il nous accueille avec un : «Tiens, le journal de propagande de la France insoumise.» Une référence à l'interview de Jean-Luc Mélenchon ce samedi dans Libé. Pierre Laurent reprend son sérieux : «J'ai remonté tout le cortège, l'opération est réussie! Il y a du monde, c'est une force citoyenne face à l'arrogance du pouvoir qui nous oblige à unir toutes les forces. Maintenant nous devons continuer car Le face-à-face à Macron se termine.» Le chef des communistes se retourne pour répondre aux journalistes du Média : il n'a pas osé faire la blague.

Avec une famille

«Avec la politique de Macron, tout part à vau-l’eau»

Elise est venue en famille - insoumise - pour «montrer son désaccord» avec ce chef d'Etat qui ne la «représente pas du tout» et pour qui elle n'a pas voté. Vendeuse en prêt-à-porter, elle a été «directement touchée» par la baisse des APL. Un coup dur, pour cette mère célibataire de 36 ans. Son père, lui, Michel, 71 ans, a calculé qu'il allait perdre 560 euros sur l'année, du fait de la hausse de la CSG des retraités. Ex-cadre chez EDF, il est très amer contre Emmanuel Macron, «cet homme qui fait beaucoup de blabla» et dont la politique, dit-il, «individualise les gens et va à l'encontre du principe de solidarité». Parmi ses nombreux griefs: la loi travail qui a «remis en cause tous nos droits». Avec à la clé, «toujours plus de licenciements et de nombreux chômeurs».

«Le ruissellement, c'est dans l'autre sens qu'il fonctionne: plus on a d'argent, plus on en aspire, s'agace la mère, Aline, 64 ans, ex-cadre chez Engie France. En France, il n'y a plus d'ascenseur social.» Elle craint qu'avec Macron, rien ne s'arrange, tout au contraire. Contrairement à sa fille, elle a voté Macron au second tour, «mais pas du tout par conviction». Après cette journée de mobilisation, elle espère «une grève générale» mais qui, craint-elle, «ne viendra pas. Pourtant, ce qu'il faudrait, c'est bloquer le pays». Une aspiration qui ne cesse de grandir chez elle, «surtout face à l'arrogance de Macron qui vient nous dire que, même s'il y a des gens dans la rue, il ne fléchira pas. Les cheminots et fonctionnaires ont raison de défendre les services publics. Ils sont le fer de lance de toute une population qui est derrière, mais ne peut pas toujours manifester ou faire grève». Pour Michel, c'est d'ailleurs une «bonne initiative» que cette journée de mobilisation se déroule un samedi: «cela permet de rassembler un maximum».

Le septuagénaire ne croit pas que les concertations actuelles entre syndicats et gouvernement puissent changer quoique ce soir. «Ça ne veut rien dire, si ce n'est que cela démontre le mépris de Macron.» Ce qu'il espère, c'est un changement à plus long terme: «Plus on sera à manifester, à discuter, à s'enrichir par nos échanges, mieux ce sera pour le futur, pour la lutte, pour que Macron et son racisme de classe soient boulés aux prochaines élections.» Et de conclure: «Cet homme qui veut dominer et ne rien écouter me laisse un goût bizarre avec son discours sur la France des riens.» «Avec sa politique, tout part à vau-l'eau. Et les valeurs de gauche sont en perte de vitesse totale, reprend Aline. Alors, oui, ce rassemblement était nécessaire, on l'attendait depuis longtemps.»