Drôle de dispositif pour une rencontre. Jeudi matin, l’Institut de l’entreprise a réussi la gageure de réunir à la tribune du Conseil économique, social et environnemental (Cese) les six candidats, dont une seule femme, à la succession de Pierre Gattaz à la tête du Medef et dont l’élection aura lieu le 3 juillet. Alignés par brochette de trois, de chaque côté du «perchoir» du palais d’Iéna, sans pouvoir se voir des deux côtés de la scène : c’était l’occasion (rare) de les entendre tous ensemble sur leur conception de leur futur rôle à la tête de la principale organisation patronale.
Campagne
Une petite heure après le début de ce format «sur le gril», où les différents prétendants se sont exprimés sur des sujets aussi variés que le danger populiste, la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises ou encore l’avenir du paritarisme à l’ère d’un président très centralisateur, la moitié d’entre eux s’était purement et simplement éclipsée. Apparemment partis, a-t-on entendu, battre la campagne auprès des seuls qui comptent véritablement dans cette élection : les adhérents. Surréaliste.
A quoi peut bien servir le Medef en 2018 alors qu'un président très «probusiness» s'est installé à l'Elysée et que les réformes mises en place depuis quelques années, du CICE hollandais à la réforme macronienne du code du travail, ont largement répondu à ses attentes ? Comme il se doit dans ce genre d'exercices, tous les candidats y sont allés de leur couplet sur le déficit d'image du Medef et la nécessité de transformer en profondeur une organisation qui ne compte pas moins de 87 fédérations professionnelles affiliées, 110 à 130 représentations territoriales sans compter le Medef international, et une centaine de commissions. Mais lorsqu'un participant a demandé comment les aspirants comptaient s'y prendre pour moderniser le fonctionnement du Medef, personne n'a su lui répondre. «On ne va pas froisser les grands électeurs avant d'avoir leur vote», a ironisé un chef d'entreprise dans l'assistance.
Les six candidats ont plutôt cherché à mettre en avant ce qui pouvait bien les distinguer de leurs concurrents. Pour Geoffroy Roux de Bézieux, un des deux favoris, issu de l'univers du commerce et des services, c'est la priorité accordée aux bouleversements de l'emploi à l'ère du tout-numérique, dans un pays qui «ne compte pas que des premiers de cordée», qui permettra de redorer le blason du Medef. S'il est élu, il s'est engagé à lancer des discussions sur le sujet avec les syndicats.
Vocation
A l'autre extrémité de la scène, son principal adversaire, Alexandre Saubot, ancien patron de la puissante Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), l'a dit autrement en insistant sur l'importance de la formation et de l'apprentissage. Faisant le pont entre les deux, Patrick Martin, à la tête du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, qui a rallié à sa cause des patrons de PME fatigués par les calculs des états-majors des grandes fédérations, a plaidé pour un Medef «qui soit un lieu de convergence et non de confrontation entre ses différents secteurs». Dominique Carlac'h, la seule candidate, qui joue la carte «sociétale», a jugé que le Medef était passé à côté du débat sur l'objet social de l'entreprise, d'où la nécessité de le démocratiser. Une seule fois, semble-t-il, le mot «dialogue social» a été prononcé, par Frédéric Motte, président du Medef des Hauts-de-France, tandis qu'Olivier Klotz, du Medef Alsace, s'est ému que les «corps intermédiaires» ne soient pas plus entendus.
En filigrane, la question est celle de la vocation du Medef à l'heure où les modes de gestion et de négociation paritaires apparaissent dépassés aux yeux des candidats. «Le problème, c'est que le futur patron du Medef, c'est en réalité Macron, lance, provocateur, Jean-Claude Volot, ancien vice-président de l'organisation, candidat éphémère à sa présidence en 2013. On le voit bien, sur la plupart des sujets, c'est l'Etat qui décide parce que c'est lui qui apporte sa garantie financière et c'est lui qui dit au début de la négociation où celle-ci doit aboutir. Soit le Medef se met à voir plus loin et sort de son corporatisme, soit d'autres s'en chargeront à sa place.» Avis au futur président, dont la première des qualités, a-t-on largement entendu au Cese, sera de bien s'entendre avec le pouvoir.
Geoffroy Roux de Bézieux : la Tech la première
Déjà candidat en 2013 au poste de patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux croit son heure venue. Agé de 55 ans, ce familier des arcanes patronaux, ex-président du réseau d'entrepreneurs CroissancePlus et qui a sagement attendu son tour dans l'ombre de Pierre Gattaz - il était depuis cinq ans vice-président chargé de la fiscalité et du numérique -, laboure depuis des mois le terrain en quête de son bâton de maréchal. Réputé franchement libéral en économie et ouvert sur les questions de société, cet homme de coups dans sa carrière d'entrepreneur a fait de la «révolution technologique» le cœur de son discours.
Ancien rugbyman et éphémère engagé dans les commandos de marine à sa sortie de l'Essec, le baroudeur, parti favori sur la ligne de départ, a reçu le soutien de 100 patrons de la French Tech. Dont Frédéric Mazzella (BlaBlaCar), Marc Simoncini (ex-Meetic, Sensee), Henri Seydoux (Parrot) ou encore Pierre Kosciusko-Morizet (Ex-Rakuten France), son associé dans Isai, un fonds d'investissement dans les start-up. De quoi peaufiner son image de patron moderne investi dans les secteurs d'avenir et les nouveaux modèles économiques du numérique, là où son adversaire a fait toute sa carrière dans l'industrie. «C'est un entrepreneur opiniâtre et futé qui a su prendre des risques en développant des activités intercalées entre les producteurs et les consommateurs, comme dans la téléphonie», explique un proche, en citant le distributeur spécialisé de mobiles The Phone House et l'opérateur virtuel Virgin Mobile, tous deux disparus depuis belle lurette. Pas étonnant donc que ce catholique pratiquant grandi dans les beaux quartiers à Neuilly, et partisan de la modération pour les émoluments des grands patrons, insiste sur les bouleversements à venir de l'intelligence artificielle et la gestion prévisionnelle des compétences. «Il s'agit de faire comprendre l'entreprise et d'expliquer le futur, pas de la faire aimer», dit-il en adepte de l'économiste de l'innovation Joseph Schumpeter, persuadé que les emplois détruits par le progrès technique seront compensés par d'autres nouvellement créés grâce à la transformation numérique des entreprises.
Bien moins «techno» et homme de dossiers que Saubot, plus à l'aise dans la com consensuelle que dans les grands marathons des négociations paritaires entre partenaires sociaux, celui à qui l'on reproche parfois son côté très parisien joue la carte de la féminisation des instances dirigeantes du Medef. Il se montre aussi plus ouvert que son principal adversaire sur la question de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises, que le gouvernement entend consacrer avec la future loi Pacte et promet d'œuvrer à «la réconciliation du capital et du travail» en améliorant les différents dispositifs permettant de partager avec les salariés les fruits de la croissance.
S'il reconnaît que les divergences sur le fond avec ses adversaires sont minimes , cet ancien de la commission Attali, décrit par un syndicaliste comme «un patron pour lequel le social, c'est le minimum légal», veut convaincre qu'il est capable de changer en profondeur l'image du Medef. Un autre candidat interroge : Roux de Bézieux ou Saubot, «les sortants, sont-ils les plus crédibles pour conduire ce changement ?»
Alexandre Saubot Métal : à toute épreuve
Président jusqu'en avril de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), la plus puissante et influente des fédérations patronales affiliées au Medef, Alexandre Saubot, 53 ans, se présente comme un candidat de «réconciliation des Français et de l'entreprise» pour succéder à Pierre Gattaz à la tête de la première organisation patronale française. A 53 ans, ce polytechnicien et ingénieur de l'armement passé par différents postes dans la haute fonction publique avant de rejoindre en 1999 Haulotte, le fabricant de nacelles élévatrices stéphanois repris par son père (500 millions d'euros de chiffre d'affaires, 1 700 salariés), entend redonner du poids à un Medef qui, comme les syndicats de salariés, subit ces dernières années la crise des corps intermédiaires.
Réputé très «techno» et fin politique, rompu aux subtilités du paritarisme à la française, cet ancien responsable du pôle social du Medef - et à ce titre son négociateur en chef lors des dernières discussions autour de la nouvelle convention d'assurance-chômage signée en 2017 - s'est forgé l'image d'un patron expert du dialogue social. Pour l'emporter, il met en avant les «résultats très concrets», insiste-t-il, obtenus lors de ses précédents mandats patronaux : quasi-disparition du compte pénibilité dans l'industrie, non-taxation des contrats courts. Mais celui que le camp adverse brocarde comme un candidat «de l'ancien monde» a aussi été critiqué pour sa gestion solitaire et quelque peu autoritaire de ses dossiers. «Il dit qu'il a changé mais jusqu'ici il s'est comporté en autocrate, dit de lui un ponte du Medef pour qui Saubot n'est pas parti favori mais se démène pour activer ses réseaux. Il a avec lui les polytechniciens, qui sont nombreux dans la banque.» Cette fédération clé vient de lui apporter son soutien, tout comme les travaux publics et naturellement l'UIMM.
Saubot, qui sait que son image d'homme de dialogue centralisateur peut lui nuire, a eu tendance ces derniers temps à durcir son discours. Il affirme ainsi qu'il n'est pas forcément un «inconditionnel du dialogue social» en toutes circonstances, qui n'est utile, dit-il, que lorsqu'il sert «la performance économique». Autre manière de faire mentir sa réputation, ce catholique pratiquant et bien né, un des rares points communs avec son principal adversaire, plaide pour un paritarisme de gestion plus sélectif, recentré dans les domaines où le Medef peut peser (l'assurance-chômage, les retraites complémentaires, les accidents du travail) face à un Etat qui, du fait de sa garantie financière, se montre de plus en plus interventionniste. Parmi les points saillants de son programme détaillé dans une plaquette de quinze pages - Geoffroy Roux de Bezieux s'en est, lui, abstenu à ce jour -, ce patron qui déplore «la panne de l'ascenseur social en France» veut mettre le paquet sur la formation et l'apprentissage, avec l'objectif d'une hausse de 50 % du nombre de bénéficiaires d'ici cinq ans. En creux, au fil de ses interventions, le public aura compris que Saubot n'hésite pas à apparaître comme (un petit peu) moins libéral que son principal concurrent. Un peu moins moderne, aussi, rétorque ce dernier.