Et si le refus chinois d’importer une bonne partie de nos déchets, qu’il s’agisse de papiers-cartons ou de plastiques, était une aubaine, l’occasion, enfin, de mieux les recycler en France et de réduire leur volume ? A court terme, certes, la décision de Pékin, annoncée en juillet 2017 et concrétisée cette année, bouscule les recycleurs hexagonaux (pour ne parler que du plastique, ils en ont exporté 98 000 tonnes en Chine en 2016). Désormais, ce pays importe moins de déchets, et les veut de meilleure qualité. Seules les chutes industrielles (comme les emballages de palettes) sont acceptées. Les plastiques issus des ménages sont refusés. Par exemple, pour le PET (utilisé dans les bouteilles d’eau), ne sont acceptés que des granulés lavés et livrés par couleurs homogènes. Conséquence : les volumes envoyés en Chine se sont écroulés.
Que faire de toutes ces matières recyclables déclarées non grata par Pékin ? Difficile de les écouler ailleurs. La capacité des autres usines mondiales n'est pas encore en mesure de prendre le relais. Les stocks s'amoncellent chez nous. «A court terme, cela a fragilisé la filière de recyclage européenne et fait baisser les prix des matières premières secondaires : les films plastiques qui entouraient les palettes ou les packs d'eau, par exemple, sont passés de 250 à 170 euros la tonne en trois mois. Nous sommes revenus à 200 euros la tonne», explique Jean-Marc Boursier, directeur général adjoint de Suez en charge de l'activité recyclage et valorisation en Europe.
Relocalisation. Les recycleurs commencent à s'adapter. Premier impératif : améliorer la qualité du tri des plastiques (jusqu'au stade de granulés) en France. Chez Paprec, le «numéro 1 français du recyclage», on a pris les devants. «Nous avons dédié une de nos usines, à La Neuve-Lyre en Normandie, au lavage et au surtri de films plastiques. Nous n'avons pas le choix : c'est soit cela, pour pouvoir continuer à exporter nos matières premières en Chine, soit l'incinération», explique Sébastien Petithuguenin, le DG du groupe. Quant à créer des usines en France, ce que le groupe n'a pas encore décidé tant que l'incertitude demeure sur la relocalisation de cette activité (Europe de l'Ouest, centrale - où la Chine a commencé à implanter des usines - ou Asie du Sud-Est), «cela prendrait dix-huit à vingt-quatre mois minimum». Cela dit, ajoute le DG de Paprec, en imposant une forte montée en gamme des matières premières issues du recyclage,«la décision chinoise représente une opportunité pour les entreprises capables d'investir et de les fournir, c'est le cas pour nous».
Les recycleurs français espèrent aussi, au passage, s'offrir de nouveaux débouchés en Europe. Les industriels européens rechignent pour l'instant à utiliser du plastique recyclé dans leurs produits. Celui-ci souffre des faibles cours du pétrole qui rendent plus rentable l'utilisation de plastique vierge. «Une tonne de PET vierge coûte environ 1 250 euros en ce moment, prix à peu près équivalent à la tonne de plastique recyclé, dont les coûts de production sont relativement fixes (collecte, tri et recyclage). Cela ne nous aide pas, d'autant qu'il subsiste des réticences, une certaine défiance face aux matériaux recyclés», déplore Jean-Marc Boursier. Qui insiste sur les efforts en recherche-développement. Pour le PET, le polyéthylène haute densité (bouteilles de shampooing), le polyéthylène basse densité (films plastiques) et le polypropylène (pare-chocs automobiles), «nous sommes en train de résoudre l'équation technique», assure-t-il.
Shampooing. Le recyclage du polystyrène, en revanche, n'est pas encore au point. Le responsable de Suez remarque que certains industriels «s'engagent». Et de citer L'Oréal, Unilever, Danone, Renault ou Procter & Gamble, avec lesquels le groupe a noué des partenariats pour intégrer par exemple du plastique recyclé aux bouteilles de shampooing. Mais pour que le marché français et européen des plastiques recyclés décolle, Jean-Marc Boursier juge nécessaire que les industriels privilégient l'ecodesign (des plastiques facilement recyclables) ou que les consommateurs puissent choisir des produits recyclés (en clarifiant l'écolabel aujourd'hui abscons). «Il faut aussi et surtout que les pouvoirs publics poussent les industriels à inclure du plastique recyclé dans les emballages. La Californie a imposé 25 % de matériaux recyclés dans les bouteilles en plastique, et ça marche», dit-il. La France n'en est pas là. Même si l'exécutif, qui a présenté fin avril sa «feuille de route pour l'économie circulaire», demande aux industriels d'incorporer plus de matières recyclées dans leurs nouveaux produits d'ici à la fin de l'année. «Pour que les lignes bougent réellement, il faudrait un taux d'incorporation obligatoire de matières premières issues du recyclage, de l'ordre de 10 à 15 % par exemple», estime Sébastien Ricard, directeur du développement durable chez Paprec.
A défaut d'obligations, des incitations existent. Avant même la décision de Pékin, qui ne fera qu'aggraver la situation, le ministère de l'Ecologie avait identifié et anticipé un déséquilibre encore plus criant qu'aujourd'hui entre l'offre et la demande (notamment car dès 2022, l'ensemble des plastiques pourra être envoyé en centre de tri, y compris les pots de yaourts et films). Il a donc lancé début 2016 le dispositif Orplast « Objectif Recyclage PLASTiques », destiné à soutenir l'intégration de matières plastiques recyclées dans la production industrielle. Quelque 140 entreprises se sont montrées intéressées, dont 68 ont été sélectionnées. Représentatives des principaux secteurs utilisateurs de plastique, notamment les plasturgistes et transformateurs (BTP, emballages -embouteillage, films…- et automobile), elles se sont réparties une enveloppe de 15 millions d'euros. «Elles souhaitaient surtout que nous les aidions à financer l'adaptation de leur chaîne de production à l'utilisation de plastique recyclé», précise Roland Marion, en charge du service «Produit et Efficacité Matières» à l'Ademe, l'agence qui a mis le programme en oeuvre.
Celui-ci s'est avéré concluant. «Grâce à Orplast, l'industrie française utilise aujourd'hui environ 400 000 tonnes de plastique recyclé par an, contre 260 000 tonnes en 2014», calcule Roland Marion. Il reste de la marge, une immense marge, même : chaque année, les industriels hexagonaux consomment en tout 6 millions de tonnes de plastique. Le deuxième volet d'Orplast, lancé en septembre, ne sera sans doute pas suffisant pour absorber la montagne de plastique recyclé qui déferle sur le marché (d'autant que le gouvernement vise «100% de plastique recyclé sur tout le territoire» d'ici 2025). Pour réellement doper la demande locale, outre le fait de rendre obligatoire l'intégration de plastique recyclé dans certains produits, les recycleurs préconisent de donner un prix au carbone suffisamment incitatif. «Une tonne de plastique recyclé, c'est 1,6 tonnes de CO2 évités, 5 barils de pétrole économisés et une division par dix de l'utilisation d'énergie», rappelle Jean-Marc Boursier, de Suez. Comme ses confrères, il se dit «optimiste» pour le moyen-long terme et voit dans la décision chinoise «l'occasion de créer enfin une industrie des matières premières recyclées en France, vertueuse pour le climat, la balance commerciale -en réduisant les importations de matières premières- et l'emploi».
Selon le ministère de la transition écologique, recycler une tonne de déchets générerait en effet trente fois plus d'emplois que de les mettre en décharge. Recycler en France plutôt qu'ailleurs permettrait donc de relocaliser ces jobs. Même si tous ne pourront pas l'être : une très grande partie des cartons continuera par exemple à être recyclés en Asie, là où sont produits les biens de consommation qu'ils servent à emballer. Reste une évidence : pour ne pas crouler sous nos déchets, la solution consiste avant tout à éviter au maximum d'en produire. L'arbitrage de Pékin ne serait-il pas là aussi l'occasion d'aller dans ce sens? «Beaucoup d'emballages alimentaires pourraient être supprimés grâce à la vente en vrac ou au retour de la consigne, qui intéressent de nombreux entrepreneurs», souligne Flore Berlingen, directrice de l'association «Zero Waste France» (voir Libération du 5 octobre 2014). Même les recycleurs sont favorables à l'idée, alors qu'on pourrait les croire réticents -puisqu'a priori, moins de déchets veut dire moins de recyclage donc d'activité pour eux-. Suez, par exemple, aide déjà ses clients industriels, tels que Renault ou Airbus, à produire moins de déchets par véhicule ou par avion sortant de leurs usines...