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Syndicats

La CFDT, ils l’ont aimée ou ils l’ont quittée

Témoignages de deux néo-adhérents et de deux ex-militants.
Lors d'une manifestation devant le ministère de la Santé, le 30 janvier. (Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 3 juin 2018 à 20h16

Ils viennent d’adhérer

Stella Le Martelot, candidate CFDT : «Ils ne sont ni à gauche ni à droite»

Il y a quinze jours, Stella Le Martelot a sauté le pas : elle a adhéré à la CFDT. Pourtant, longtemps cette idée ne lui a pas effleuré l'esprit : «Je n'avais jamais été syndiquée, alors que j'ai travaillé à la RATP et que là-bas, il y a beaucoup de syndicats. Je crois que j'y entendais tellement parler de syndicalisme, les militants venaient nous démarcher tout le temps, que cela avait fini par être trop pesant. Du coup je n'avais ni l'envie ni de toute façon le besoin de prendre une carte.»

Devenue conseillère de formation à Paris, la femme de 27 ans a été poussée par ses collègues à se présenter à l'élection de délégués du personnel. Dans son entreprise, qui vient de passer à douze salariés et qui va donc organiser ses premières élections, tout est à faire sur le plan syndical. «J'ai dit oui pour la candidature, mais quand la direction a commencé à me parler de protocole électoral et de tout un tas de choses, j'ai senti que j'avais besoin d'être entourée, aiguillée par un syndicat pour faire les bons choix.»

Restait à choisir lequel. «J'avais entendu parler des plus connus, la CGT, la CFDT. Pour trancher, je suis allée voir tous leurs sites internet, et j'ai retenu celui qui m'a semblé avoir les mêmes valeurs que moi : la CFDT. Il y a de la solidarité dans ce syndicat. J'ai trouvé qu'ils n'étaient pas là pour mon argent. Ils m'ont aidée alors que je n'étais même pas adhérente», explique-t-elle. Elle souligne également les victoires revendiquées par la CFDT, dont elle a découvert l'histoire en ligne : «J'ai appris qu'ils avaient obtenu le droit à la retraite anticipée pour les personnes ayant eu une carrière longue débutée jeune.» Un élément qui lui parle, elle qui a commencé à travailler à 15 ans. Autre point qui a fait la différence : «Ils sont indépendants. Ils ne sont rattachés à aucun parti, ni à gauche ni à droite. Alors que les autres, sans vraiment qu'ils ne le disent, ça se sent qu'ils sont politisés.»

Jérémy (1), représentant CFDT : «C’est quand même les patrons qui créent de l’emploi»

Quand il a adhéré à la CFDT, en septembre 2017, Jérémy n’avait aucune expérience syndicale. «Je travaille à Orange [Vaucluse, ndlr] dans une entreprise de 120 salariés où il n’y a aucune instance représentative du personnel, pas de délégués du personnel, pas de comité d’entreprise, rien.» Pour changer les choses, faire respecter les droits des salariés, obtenir la mise en place d’élections professionnelles dans sa boîte, il décide de se rapprocher d’un syndicat. Revendicatif, le salarié se sent de plus en plus «mal vu» par sa direction. Il est aussi à la recherche de conseils juridiques. «Je voulais avoir quelqu’un qui puisse m’aider en cas de problèmes, explique ce responsable de boutique de 35 ans. Et j’ai bien fait de me syndiquer car quelques mois plus tard, juste après avoir été désigné représentant de la section syndicale que je venais de créer, fin décembre 2017, j’ai été mis à pied.»

Disponibilité, conseils, soutien psychologique : le désormais cédétiste ne tarit pas d'éloges pour sa fédération, qui l'a épaulé dans cette épreuve. «Avec la CFDT, je sentais que je n'étais pas seul», résume-t-il. Cette dernière l'accompagne encore aujourd'hui aux prud'hommes où il attaque son employeur pour dénoncer sa mise à pied et le non-respect de ses droits syndicaux.

Aujourd'hui, il ne regrette en rien d'avoir adhéré à la centrale réformiste qu'il avait choisie «parce que les autres syndicats ne [lui] plaisaient que moyennement». La CGT ? «Trop virulente et pas assez constructive.» Et FO ? «C'est un peu pareil.» Il apprécie que la CFDT se batte pour faire respecter les droits des travailleurs «sans pour autant taper sur les doigts de tous les patrons, car il y en a des bons et des mauvais, et c'est quand même eux qui créent de l'emploi». Autre qualité de son syndicat, selon lui : sa capacité à davantage s'inscrire dans le dialogue social. «En ce moment, certains syndicats descendent beaucoup dans la rue, mais c'est pas vraiment ça qui fait avancer le schmilblick. C'est parfois nécessaire, mais quand c'est tout le temps, ça n'a plus de valeur.»

Ils l'ont quittée

Luc Rovet, délégué CGT, ex-CFDT : «La CFDT ne représente plus sa base»

Après près de trente-cinq ans à la CFDT, Luc Rovet, 61 ans, l'a quittée en 2016 lorsque sa filiale, rattachée à Thalès, a été absorbée par une autre entreprise du groupe. «Quand on a fusionné, les militants CFDT de ma boîte ont été exclus de tous les postes par les cédétistes de l'autre entreprise», se souvient ce technicien électronicien. Auparavant délégué syndical central CFDT, il décide de se présenter aux élections professionnelles sous l'étiquette CGT. «J'aimais ce que je faisais, je voulais continuer. C'était une opportunité», explique-t-il. Et «un soulagement» dans son rôle de syndicaliste. Aujourd'hui délégué syndical d'établissement et délégué du personnel de la société, il raconte : «Au départ, j'ai adhéré à la CFDT parce qu'elle était ultramajoritaire dans mon entreprise et que je partageais ses valeurs.» Notamment celles d'Edmond Maire, ex-secrétaire général qui, dit-il, «défendait un syndicalisme de lutte et de progrès social. Mais le syndicat a changé. Maintenant, à la CFDT, ils sont plus régressistes que réformistes. Ils excluent toujours de sortir dans la rue. Avant, on disait que c'était FO le syndicat des patrons, là, c'est la CFDT. Elle ne représente plus sa base. Des pans entiers de nos droits se sont écroulés et la CFDT a été trop molle». Il égrène les réformes qui ont forgé son désaccord avec la centrale : la loi de modernisation du marché du travail, en 2013, les lois Macron et El Khomri, et la primauté donnée à l'accord d'entreprise, les ordonnances. Et avant tout cela : la réforme des retraites, en 2003, «signée par la CFDT alors que le rapport de forces dans la rue était en notre faveur». Pour lui, l'étiquette orange n'a pas toujours été facile à porter. «Il y avait un peu de honte. Il fallait se justifier auprès des salariés, expliquer que l'on n'était pas d'accord avec la confédération», raconte-t-il. Mais par «fidélité» envers les «amis» de la section syndicale, il a longtemps serré les dents. Il résume : «Mon départ a été déclenché par un problème humain, mais derrière, j'avais un souci politique avec le syndicat. Ça a été une délivrance moralement.»

Muriel (1), élue SUD santé dans un hôpital, ex-CFDT : «On voulait faire grève, on nous répondait non»

Muriel, élue SUD Santé au conseil social et économique d'un hôpital en Normandie, a eu sa première carte CFDT en 2006. «C'était le syndicat qui représentait le mieux mes attentes par rapport aux enjeux propres de l'entreprise, à la défense des droits des salariés, des conditions de travail», raconte l'aide-soignante de 38 ans. Elle est restée fidèle à la centrale, même si elle n'était pas toujours d'accord avec la ligne. «Un syndicat se construit à l'échelle de l'entreprise, avec les personnes qui sont dedans. Alors, bien sûr, on suit les actualités dans les grandes lignes, mais on regarde surtout ce qui se fait sur le terrain.» Mais les positions confédérales commencent à lui peser : «La CFDT a validé des réformes qui n'allaient pas dans le bon sens. La loi El Khomri, ça m'a refroidie. On ne se retrouvait pas dans la décision de la confédération quand elle a décidé de défendre ce texte. Il y avait aussi tous ces appels à la grève que la CFDT ne faisait pas, y compris contre les ordonnances. Bien sûr, il faut négocier, mais des choses correctes, qui vont dans le bon sens, qui vont aider les salariés, le pouvoir d'achat.» L'aide-soignante fait souvent entendre son désaccord au niveau départemental : «On disait "il faut faire grève", mais on nous répondait non, que si c'était ça, on n'avait rien à faire ici. A la CFDT, je ne me sentais pas libre d'exprimer mon ressenti. Je suis allée défiler avec d'autres collègues cédétistes sans affiche ou logo, sans rien, pour ne pas être reconnue. On avait peur d'avoir des soucis si on nous voyait.» L'idée de partir fait son chemin. Mais une chose la retient : l'assurance professionnelle en cas de problème juridique incluse dans l'adhésion à la CFDT qu'elle a peur de perdre. Lorsque son hôpital fusionne avec un autre, elle prend rendez-vous avec SUD, et c'est toute sa section qui décide d'adopter une autre couleur. Celle de l'union syndicale Solidaires, «un syndicat dans lequel on se sent plus libre».

(1) Les prénoms ont été modifiés.