Quelques mois après avoir mené à bien la réforme libérale du code du travail et malgré les multiples nouvelles épreuves de force face à l'opposition politique et syndicale tout au long du printemps, il faut bien constater que l'avantage est toujours au gouvernement : «Juin permettra d'achever la réforme de la SNCF, de rendre Notre-Dame-des-Landes à sa vocation agricole et de réussir le lancement de Parcoursup», a ainsi énuméré mercredi le Premier ministre, Edouard Philippe, sur le ton de l'évidence. Ne craignant pas d'annoncer aussitôt de nouveaux chantiers sensibles, notamment une vaste «refonte de nos prestations sociales».
Côté rail, la grève n'est pourtant pas terminée : elle se poursuivra au moins jusqu'à l'adoption en bonne et due forme du «pacte ferroviaire», mi-juin. Mais l'union syndicale a peu de chances d'y survivre et le gouvernement n'entend rien céder sur les grands principes de son projet, notamment la fin programmée du statut de cheminot. D'autant que l'opinion a soutenu jusqu'au bout le gouvernement : selon l'Ifop, fin mai, 64 % des sondés souhaitaient le voir «aller au bout de la réforme, sans céder aux mobilisations et aux grèves».
Sortie du chapeau
Même dégradée, l’image personnelle du chef de l’Etat conserve un matelas d’environ 40 % d’opinions positives, un chiffre nettement meilleur que celui de ses deux prédécesseurs au même moment de leur mandat. Cette bataille de l’opinion n’était pas gagnée d’avance. Le gouvernement avait même mis toutes les chances de son côté pour brusquer d’entrée de jeu les plus conciliants : une réforme sortie du chapeau et qui n’avait pas été annoncée par le candidat Macron pendant la campagne présidentielle, un recours aux ordonnances et un diagnostic très alarmiste sur une SNCF très vite caricaturée en catastrophe industrielle. Sans compter que la perspective d’ouverture à la concurrence des chemins de fer pouvait effrayer une partie des Français.
Les organisations syndicales pensaient que le mécanisme de la «grève par procuration», qui avait si bien fonctionné en 1995, allait pouvoir se reproduire à nouveau, agrégeant autour d'elle les déçus de la politique fiscale de Macron, les fonctionnaires malmenés, les défenseurs des services publics en général et du secteur de la santé en particulier… Finalement, il n'en a rien été. Jusqu'au bout les Français ont majoritairement soutenu l'opération à marche forcée du gouvernement.
«Une autre étape»
Au sommet de l'Etat, on veut y voir le signe que l'opinion française est définitivement prête pour soutenir ces projets de transformation du modèle français. Ce n'est pas si sûr. «Je ne suis pas certaine que le thermomètre de la SNCF soit le bon pour évaluer le degré d'adhésion de l'opinion à notre politique, reconnaît une députée LREM. La question de la réforme SNCF s'est finalement réduite à celle du pour ou contre le changement de statut des cheminots.» Et sur ce sujet, le gouvernement savait, dès le départ, qu'il bénéficiait d'un socle d'opinion inaltérable : les dix ans de crise ont fini par rendre les Français définitivement hostiles à l'idée de statuts protégés.
De leur côté, les animateurs du mouvement social ont constaté les limites de leurs moyens d'action : une grève perlée à laquelle les usagers se sont rapidement adaptés et des manifestations à l'affluence parfois décevante. Même constat pour la loi orientation et réussite des étudiants, qui met en place une forme de sélection à l'entrée de l'université. Bien que toujours contesté, le nouveau système a survécu à l'occupation de plusieurs facultés par ses détracteurs. Politique ou syndicale, l'opposition n'arrive pas à reprendre la main sur un agenda préparé très en amont par l'exécutif, et appliqué avec intransigeance.
Il est vrai que tous les acteurs de la séquence n'en tirent pas le même bilan. Déçu par la raideur macronienne, Laurent Berger, le leader de la CFDT, juge tout de même que les quelques avancées obtenues dans le dossier SNCF valident sa stratégie de la «proposition». Tout le contraire du patron de la CGT, Philippe Martinez : «La CFDT considère qu'il faut aller au bout de la discussion, mais c'est où exactement ? confiait-il récemment à Libération. Quand on n'arrive pas à se faire entendre, il faut passer à une autre étape.» Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a contesté fin mai dans Libération tout essoufflement du mouvement. Y voyant une étape dans la patiente construction d'un courant majoritaire.
Tranquille obstination
Au gouvernement, enfin, consigne est donnée d'avoir la victoire modeste et de n'afficher qu'une tranquille obstination dans la poursuite des réformes : «Le travail n'est pas terminé tant que les Français n'ont pas constaté de progrès concrets dans leurs vies quotidiennes, a ainsi déclaré Edouard Philippe à la sortie d'un séminaire gouvernemental mercredi. Il ne suffit pas de voter la loi, d'annoncer des mesures et de prendre des décrets.» Une prudence d'autant plus nécessaire que de nouveaux gros risques pour l'exécutif sont à venir.
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La FNSEA, principal syndicat agricole, a annoncé jeudi un mouvement «très fort» de blocage des raffineries «dans toute la France» à partir de dimanche pour contester notamment la future hausse des importations d'huile de palme. Courant juin aussi, le chantier de réforme de l'Etat, «Action publique 2022», doit produire de premières propositions : plusieurs pourraient avoir l'effet d'un chiffon rouge pour les syndicats de fonctionnaires. Quant à la réforme annoncée des prestations sociales, elle inquiète jusque dans la majorité : plusieurs députés LREM ont fait savoir leur attachement à la prime d'activité, jugée trop peu incitative par le gouvernement. Pour tenir ses engagements budgétaires, enfin, ce dernier va devoir dégager de considérables économies, dont il a pour l'instant évité de donner le détail. Au risque de déplaisantes surprises pour les publics concernés.
Quant aux victoires passées, elles ont, malgré tout, un coût symbolique pour l'exécutif, qui peine toujours plus à faire valoir le caractère «équilibré» de sa politique et son attachement au dialogue social. Un sondage de l'institut Elabe publié en avril indique que deux tiers des Français (67 %) jugent que la politique menée depuis un an par le Président «est favorable aux plus aisés». Même des compagnons de route du macronisme lui en font désormais le procès : «Le social-libéralisme, ce n'est pas juste du libéralisme», a averti l'économiste Philippe Aghion, vendredi sur France Inter. Tandis que Jean Pisani-Ferry, l'un des auteurs du programme présidentiel, appelle le chef de l'Etat à passer «de la verticalité à une logique plus organique». Et que le réformiste Laurent Berger multiplie les piques contre un exécutif accusé de jouer «bloc contre bloc». Une marche forcée assumée au nom de l'urgence des réformes, mais au risque d'un ressentiment croissant chez les interlocuteurs du pouvoir.