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Libération
Reportage

Loi littoral : remous sur le front de maires bretons

L’amendement qui autorise des constructions dans les «dents creuses», ces espaces vides entre deux bâtiments, pourrait ouvrir la voie aux promoteurs sur les zones côtières et aboutir au bétonnage de ces terrains, où la nature a encore ses droits.
A Damgan (Morbihan), le 1er juin. (Photo Thierry Pasquet. Signatures pour Libération)
publié le 3 juin 2018 à 20h36

Jour de grand soleil, à peine moucheté de quelques nuages, sur la baie de Kervoyal, où les bateaux de plaisance se dandinent en attendant de prendre le large. De ce port niché dans une anse naturelle de Damgan, non loin du golfe du Morbihan, on aperçoit la pointe de Penestin au loin et sa fameuse Mine d’or, une falaise qui s’illumine de teintes cuivrées au soleil couchant. Et aussi tous ces récifs rocheux coiffés de pins maritimes qui s’avancent dans la mer, sans l’ombre d’une habitation.

Marinière à rayures blanches et bleues, cheveux blancs chahutés par le vent et Crocs aux pieds, Jean balaie ce paysage de bord de mer d'un geste large. «Regardez ça ! C'est magnifique, non ? Il y a plein d'Anglais qui viennent ici juste pour le plaisir des yeux ! Ce serait quand même dommage de tout bétonner !» Ce retraité, qui vit six mois de l'année dans ce cadre préservé, ne croit pas vraiment à pareille éventualité. Mais, depuis que le gouvernement a dévoilé sa volonté de bousculer la loi littoral, un doute s'est installé. Et une question : quelles zones de la côte bretonne pourraient être touchées ? Bob sur le crâne, un autre habitué de Kervoyal se montre conciliant. «Si c'est pour combler une "dent creuse" entre deux habitations, pourquoi pas ? Mais il ne faut pas que ça devienne une excuse pour faire n'importe quoi.»

Présidente de l'association les Amis de Kervoyal, Marie-Roberte Perron affiche en revanche de sérieuses inquiétudes. «Qu'est ce qu'on va précisément appeler les dents creuses ? demande-t-elle. Et que va-t-on faire dans les zones faiblement urbanisées ? Est-ce toute l'urbanisation diffuse qui va se retrouver sur la sellette ? Tout ce dont on nous parle est très flou. La loi actuelle est très bien faite pour garantir la qualité du paysage. Pourquoi la changer, sans étude d'impact et sans la moindre concertation ? Même les "dents creuses" sont des respirations.»

«Brèche»

Près de la cale de Kervoyal, un terrain vague tout cabossé entouré de grands pins, envahi d'herbes folles et dans le prolongement d'un petit immeuble de deux étages alimente les conversations. «Pourquoi on a pu construire à côté et pas là ? Mystère, avoue Bernard, qui occupe un mobil-home la moitié de l'année à Kervoyal. Mais il ne faudrait pas qu'on y construise un immeuble maintenant !» Renseignements pris auprès du maire de Damgan, Jean-Marie Labesse (sans étiquette), qui désapprouve l'amendement du député de sa circonscription, Hervé Pellois (membre du groupe La République en marche à l'Assemblée), craint que la «dent creuse» ne réveille de vieux contentieux. Classée en zone naturelle protégée dans le nouveau plan local d'urbanisme (PLU) de la commune, elle restera en l'état. «L'un des gros problèmes de l'amendement sur la loi littoral, c'est la possibilité "d'élargir le périmètre" des hameaux, et donc l'extension de l'urbanisation en zone diffuse, relève pour sa part Jean-Pierre Bigorgne, président de l'Union des associations de défense du littoral. Alors qu'il a fallu des années pour construire une jurisprudence qui distingue les hameaux, jusqu'à présent protégés, des villages, celle-ci va tomber et laisser les associations démunies, tandis qu'un certain nombre d'élus, sous la pression des particuliers, des promoteurs, vont s'engouffrer dans la brèche.» Basé dans le Finistère, ce défenseur du littoral cite en exemple un projet d'une vingtaine de logements situés en fond de baie de Douarnenez, aujourd'hui en suspens mais qui pourrait demain être considéré comme le prolongement d'un hameau et ainsi bouleverser le paysage côtier.

«Friches»

Installé à Locoal-Mendon, près d'Auray, François Jehanno, président des PLUmés du Morbihan, une association qui regroupe une quarantaine de propriétaires de terrains devenus inconstructibles après des modifications de PLU, fulmine de son côté contre la «désinformation» qui entoure, selon lui, le projet d'amendement. «D'abord, il n'a jamais été question de toucher à la bande des 100 mètres, assène-t-il. Ensuite, on parle de zones déjà urbanisées. Certaines "dents creuses" devenues inconstructibles ne peuvent pas être cultivées et deviennent des fri ches qui sont perdues pour tout le monde. Et il s'agit de petites parcelles. L'amendement prévoit aussi de respecter le style de la zone déjà urbanisée. Qu'on arrête de raconter des histoires !»

Du côté de Kervoyal, on n'est pas vraiment convaincu. Et, juste de l'autre côté du cordon dunaire qui longe la grande plage de Damgan, Marie-Roberte Perron pointe un ensemble de trois parcelles entouré d'habitations qu'elle redoute de voir un jour hérissé de bâtiments. Une éventualité très improbable cependant dans une commune dont le maire se dit très attaché à la loi littoral telle qu'elle est. Ce qui est loin d'être le cas de beaucoup d'élus. «Beaucoup de collègues sont très pénalisés par les "dents creuses" que l'on trouve dans leurs hameaux, concède Jean-Marie Labesse, mais c'est plutôt dans le cœur de pays.» Entendre : en arrière-plan du littoral et non sur le front de mer. Pas sûr que cela évite les dérives. D'autant que, selon une étude de l'Insee, sous la pression démographique, les zones naturelles et les surfaces agricoles du littoral breton ne cessent déjà, d'année en année, de régresser.