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Libération
Éditorial

Aveuglement

publié le 4 juin 2018 à 20h36

La montée des nationalismes en Europe a quelque chose de paniquant, tant elle semble inexorable. Ce week-end encore, un nouveau pays, la Slovénie, le plus prospère de l’ancienne Yougoslavie, est tombé dans l’escarcelle xénophobe. L’Italie, membre fondateur de l’Union européenne, est désormais dotée d’un ministre de l’Intérieur qui promet le renvoi de quelque 500 000 migrants. Celui-ci s’apprête aussi, dit-il, à fermer hermétiquement la frontière sud de l’Italie, quand bien même des milliers et des milliers de personnes se noieraient dans la Méditerranée, comme les passagers de ce bateau tunisien qui vient de sombrer au large de Sfax, sur la route que décrit ici notre reporter Célian Macé. Les succès populistes ont de multiples causes, économiques ou sociales, mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que l’immigration fournit à la démagogie nationaliste son principal argument : en Grande-Bretagne avec le Brexit, en Allemagne avec la montée inédite d’un parti d’extrême droite, en Hongrie, dans les pays du Nord, et tout autant en France, où les thèmes de l’identité menacée, de la communautarisation de la société, des frontières à restaurer, alimentent une rhétorique chaque année plus efficace.

Pour l’essentiel, le débat public est monopolisé par l’affrontement paralysant des rhétoriques xénophobes - démagogiques, répressives - et des réactions humanitaires - justifiées, spontanées, élémentaires. Or, pour convaincre les peuples, pour gagner ou regagner l’opinion, pour réunir une majorité, le recours à la morale, aussi légitime soit-il, ne suffira pas. A la montée nationaliste, il faut opposer, non seulement un appel aux valeurs mais aussi, et surtout, une politique. Pour être encore plus clair, le plaidoyer permanent pour l’ouverture indistincte des frontières débouche sur un effet pervers : il donne aux opinions le sentiment que rien n’est contrôlé, organisé, et que seule la fermeture du pays résoudra le problème.

Quelle politique ? Elle est connue dans son principe, même si rares sont les élus qui osent la formuler. Accepter l’ouverture et l’accueil, pour des raisons de principe et par nécessité démographique et économique de long terme, mais dans le cadre de règles claires qui supposent une régulation précise. Ouvrir par exemple des «couloirs de régularisation» en faveur des réfugiés placés dans des camps, ce qui suppose évidemment d’opérer un choix parmi eux, sur place, en fonction de leur situation. Prévoir une immigration économique, à condition qu’elle soit proportionnée aux capacités d’accueil et à la situation de l’emploi, ce qui suppose là aussi un choix. La générosité idéale voudrait qu’on s’abstienne de choisir. Mais si cette générosité irénique favorise la victoire xénophobe, elle aura l’effet inverse de celui qu’on cherche.