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Arguments, précédents... Cinq questions sur l'uniforme à l'école

Sans vouloir imposer sa généralisation, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer s'est dit pour la mise en place d'un code vestimentaire commun dans les établissements scolaires. A Provins, les élèves de primaire se verront proposer une tenue unique après une consultation locale.
Photo d'archive d'une école primaire de garçons dans une ville non identifiée en France, lors de la rentrée des classes en 1951. (Photo AFP)
publié le 5 juin 2018 à 10h49

Des polos bleus floqués de la devise républicaine, «Liberté, égalité, fraternité», ainsi que deux pulls, un sweat, deux pantalons, un bermuda ou une jupe assortis. A Provins, les élèves du CP au CM2 pourront porter un uniforme, après un vote des parents d'élèves des six écoles élémentaires de la commune de Seine-et-Marne en ce sens. Plus de 62% des parents (376 votants sur 609 familles concernées) se sont prononcés en faveur du port, non obligatoire, d'une tenue unique lors d'une consultation organisée ce week-end par la mairie Les Républicains. De quoi réactiver le débat autour de l'instauration d'un code vestimentaire uniformisé dans les établissements scolaires, qui revient régulièrement dans le débat public depuis une quinzaine d'années. Quels arguments se font face, peut-on vraiment parler d'un «retour» de l'uniforme ? Libération fait le point.

Que prévoit le vote approuvé par les parents d’élèves de Provins ?

La consultation locale qui s'est achevée samedi dans la ville de Seine-et-Marne prévoit la mise en place d'un uniforme dans les six écoles élémentaires de la commune. Son port ne sera cependant pas obligatoire. 759 élèves du CP au CM2 sont potentiellement concernés. Le trousseau, composé de 10 pièces, coûtera «maximum» 145 euros aux familles, selon la mairie, qui va lancer un appel d'offres pour sa fabrication. Le coût sera divisé par deux à partir du deuxième enfant et des aides seront proposées aux familles qui en ont besoin, précise l'AFP. La tenue pourra être portée en classe au retour des vacances de la Toussaint, fin 2018.

Le maire LR de la commune avait lancé l'idée de ce vote local en janvier, après que le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer s'est prononcé en faveur du port de l'uniforme dans les écoles volontaires, excluant une généralisation au niveau national. Le ministre a réaffirmé cette volonté dimanche sur BFM TV, expliquant vouloir laisser l'initiative de la mesure aux collectivités locales.

L’uniforme a-t-il déjà vraiment été obligatoire ?

Après le vote local à Provins, plusieurs médias ou personnalités politiques se sont mis à parler d'un «retour de l'uniforme». Une expression abusive, relève notre service CheckNews : l'uniforme n'a en effet jamais été généralisé dans les écoles publiques en France. La blouse que portaient les jeunes écoliers en France jusqu'aux années 60 avait seulement vocation à «protéger les vêtements des taches d'encre à des époques où le textile était très cher», explique l'historien Claude Lelièvre à Slate. La blouse était surtout imposée dans les établissements privés, particulièrement dans les écoles les plus huppées et réservées aux filles. Autre idée reçue, la disparition de la blouse, qui n'est pas liée aux évènements de Mai 68 mais à l'arrivée du stylo Bic, adopté par les écoliers en 1965 pour remplacer la plume et l'encrier, précise l'historien.

Est-il actuellement en vigueur dans certaines écoles françaises ? 

Si l'uniforme est répandu au Royaume-Uni, au Japon, en Australie ou encore en Thaïlande, en France métropolitaine, seuls quelques établissements scolaires, publics ou privés, exigent le port d'une tenue uniformisée. C'est le cas par exemple des sept lycées militaires, comme Saint-Cyr. Les élèves des maisons d'éducation de la Légion d'honneur, des établissements publics destinés aux descendantes de décorés, passent aussi leur scolarité en uniforme. L'uniforme est également obligatoire depuis 2012 à l'Internat de la réussite de Sourdun, en Seine-et-Marne, relève le Figaro. En Outre-mer, le port d'une tenue vestimentaire réglementaire est plus courant : en Martinique, un tiers des établissements l'impose, selon France-Antilles. A Béziers, le maire d'extrême droite, Robert Ménard, a tenté de généraliser la blouse, ornée du blason de la Ville, dans les écoles, sans grand succès : seul un établissement scolaire privé l'avait adoptée en 2014, selon Midi libre.

Quels sont les arguments de ceux qui défendent son port ?

Imposer une tenue unique à l'école, au collège ou au lycée est une vieille marotte de la droite, notamment au nom de la lutte contre le communautarisme, comme nous l'expliquions pendant la dernière campagne présidentielle. Déjà en 2003, lors du débat sur les signes religieux à l'école, Xavier Darcos – à l'époque ministre délégué à l'Enseignement scolaire de Jacques Chirac – avait évoqué la mesure. En janvier 2015, une proposition de loi en ce sens, déposée par des députés dont Eric Ciotti et Nicolas Dupont-Aignan, voyait dans l'uniforme un vecteur de laïcité, s'opposant aux «comportements communautaristes», visant sans les nommer les tenues islamiques. «L'école doit être le lieu où se forme le sentiment d'appartenance à notre communauté nationale et à la République française», précisait le texte. L'idée figurait aussi au programme de François Fillon et de Marine Le Pen pendant la dernière élection présidentielle.

Pour ses partisans, l'uniforme est aussi vu comme un élément de fierté, de cohésion qui permettrait à la fois de créer du lien entre les élèves et d'exacerber leur sentiment d'appartenance à leur établissement – pour lutter, à terme, contre l'absentéisme ou le décrochage scolaire. Un argument invoqué par le maire de Provins, Olivier Lavenka, pour qui le port d'un polo ou d'un sweat de la même couleur est «propice au climat scolaire» et «donne une belle image de la communauté éducative et des élèves eux-mêmes», en plus d'être un «vecteur d'intégration républicaine». «Tout ce qui va dans le sens de mettre en lumière ce qui rassemble les écoliers, plutôt que ce qui les différencie, est une bonne chose», a affirmé l'édile, malgré le fait que l'uniforme sera non obligatoire dans les écoles de sa commune.

D'autres insistent sur le fait que l'uniforme gommerait l'origine sociale des élèves et mettrait fin à la dictature des marques dans la cour de récré. Les écoliers, tous vêtus de manière identique, seraient logés à la même enseigne, peu importent les revenus de leurs parents. Le ministre Jean-Michel Blanquer a repris à son compte cet argumentaire, affirmant voir dans l'uniforme «un enjeu d'égalité». «L'école est devenue le principal lieu d'injustice sociale pour les enfants», justifiait déjà il y a quelques années Jean-Pierre Chevènement, en faveur de la tenue unique. Reste que son port ne permet de masquer que certaines inégalités vestimentaires, et que les élèves ont toujours d'autres moyens de se différencier : smartphone, baskets, cartable, matériel scolaire…

Que lui reprochent ceux qui sont opposés à sa mise en place ?

D'abord, comme son nom l'indique, sa propension à uniformiser les élèves, sans prendre en compte leur diversité, leurs goûts. «L'uniforme nie les singularités. Il y a une logique politique de formatage», expliquait début 2017 à Libération Christian Chevalier, alors secrétaire général du syndicat enseignant SE-Unsa. Yohann, élève de CM2, dit la même chose au micro de RMC : «On a envie de s'habiller quand on veut. Mettre des uniformes tous de la même couleur, tout moche […], ça sera lassant à force. […] C'est chiant, moi j'aime pas.»

Moins prosaïquement, les détracteurs de l'uniforme y voient aussi un moyen d'occulter les enjeux de fond. Pour Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Syndicat général de l'Education nationale (Sgen)-CFDT, «l'attachement à un établissement se travaille par des projets collectifs, par une vie collégienne et lycéenne, des initiatives de la part des élèves. Pas par un uniforme». L'uniforme ne serait qu'un cache-misère, détournant d'une vraie réflexion sur le système scolaire français et les solutions pour le rendre plus égalitaire. Paradoxalement, la tenue unique est aussi accusée de mettre en compétition les établissements entre eux : école publique ou privée, d'un beau quartier ou d'une zone défavorisée… A moins qu'une tenue vestimentaire identique soit imposée au niveau national à tous les établissements de France, ce qui pose la question de son coût pour les collectivités locales.