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Libération
A la barre

Guerre des clans à Ajaccio : omerta au procès de la fratrie Pantalacci

Aucun membre d'une famille victime d'une tentative de meurtre en Corse ne sera sur le banc réservé à la partie civile, dans le procès en appel qui se déroule presque sept ans après les faits.
(Illustration Emilie Coquard)
publié le 7 juin 2018 à 10h35
(mis à jour le 7 juin 2018 à 10h38)

La famille Manunta l’a annoncé : aucun de ses membres ne viendra prendre place sur le banc réservé à la partie civile, dans la salle de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Celui des accusés, en revanche, sera occupé par Marc et Dominique Pantalacci. Les frères jumeaux de 26 ans comparaissent en appel jusqu’au 15 juin pour une triple tentative de meurtre perpétrée le 8 novembre 2011 à Ajaccio sur Yves Manunta, ancien nationaliste corse reconverti dans les affaires (1), sur sa femme, Angèle, et sur leur fille de 11 ans, Carla-Maria.

Lors du procès en première instance, qui s'était tenu à Aix-en-Provence en 2016, les «Panta», ainsi qu'on les surnomme à Ajaccio, avaient été acquittés. C'est donc libres qu'ils se présenteront devant la cour et les jurés. «Libres, sereins et combatifs», ajoute avec empressement Me Paul Sollacaro, qui défend les deux frères aux côtés de Mes Jean-Yves Liénard et Eric Dupond-Moretti. Le pénaliste inscrit au barreau de Nice rappelle que les «éléments du dossier ont permis d'obtenir l'acquittement» et plaide pour une audience «dépassionnée». Si Me Sollacaro insiste sur ce point, c'est que le crime dont sont accusés ses jeunes clients a provoqué l'émoi au sein d'une population pourtant tristement habituée aux règlements de comptes en région ajaccienne. Parce que la scène de crime est «particulièrement violente», selon le juge d'instruction chargé du dossier. Et, surtout, parce qu'une femme et une fillette ont été blessées dans la fusillade.

«La démarche et la silhouette de Dominique»

Pour comprendre l'affaire, les jurés devront faire un saut de quelque sept ans en arrière, et se replonger dans le contexte complexe de la première décennie des années 2000 à Ajaccio. Ce 8 novembre 2011, il est «environ 18h40» lorsque Yves Manunta arrive au volant de sa voiture sur le parking de sa résidence. L'homme d'affaires se pense menacé et prend en général ses précautions. Il n'a pas tort : alors que le véhicule s'arrête sur une place de stationnement, deux hommes armés et masqués font feu à de nombreuses reprises. Manunta sort de la voiture et se jette derrière un mur pour s'abriter. Sa femme, elle, reste dans la voiture et protège leur fille, assise à l'arrière. Toutes deux seront sérieusement blessées.

Quelques heures plus tard, un renseignement anonyme arrive aux enquêteurs de la police judiciaire chargés de l'enquête : le message désigne les jumeaux Pantalacci comme étant les agresseurs de la famille Manunta. Selon l'accusation, les deux frères auraient agi en représailles d'un guet-apens précédent, qui avait visé leur père, François-Marie, dit «Francis». De l'avis de la police, les familles Pantalacci et Manunta, autrefois proches, feraient partie de «clans rivaux», opposés depuis le début des années 2000 sur fond de contrôle du marché de la sécurité dans la cité impériale.

Pour appuyer la thèse de jeunes gens embarqués dans une guerre des clans ajacciens, les enquêteurs s'appuient sur le témoignage de Carla-Maria Manunta. La petite fille blessée à l'arrière de la voiture assure avoir reconnu le visage de Marc Pantalacci, partiellement découvert «sous une cagoule ou un bonnet» et «la démarche et la silhouette de Dominique». Selon le juge d'instruction, le témoin est «formel». D'autant que la fillette connaît bien les «jumeaux Panta», qu'elle a «souvent côtoyés sur la plage du Neptune», sur la route des Sanguinaires.

A l'évidence moins convaincue que l'accusation, la défense de Marc et Dominique Pantalacci avait réclamé lors du procès de première instance la possibilité de visionner le film de l'audition de Carla-Maria Manunta par le magistrat instructeur. A l'écran, les parties avaient pu voir la fillette reconnaître qu'elle n'avait «pas vraiment vu le visage» du tireur. Cet «instant d'audience» ainsi que la diffusion d'écoutes téléphoniques interceptées entre Yves Manunta et une policière en charge de l'enquête qui lui donnait du «tu» avaient permis à la défense de marquer des points décisifs. Aux assises, cependant, les jeux ne sont jamais faits. Et si les jumeaux Pantalacci abordent l'audience d'appel avec sérénité, «ils savent également les risques qu'ils encourent», conclut Me Paul Sollacaro.

(1) Yves Manunta sera assassiné en août 2012 à Ajaccio.