Les députés et leurs assistants vont pouvoir un peu lever le pied. Le président de l'Assemblée nationale, aux côtés des présidents de groupe, a décidé mardi que les parlementaires ne siégeraient pas un troisième week-end consécutif, après les protestations d'élus et de collaborateurs «épuisés», selon les mots du député insoumis Jean-Luc Mélenchon. L'enchaînement effréné, ces dernières semaines, des projets de loi en discussion (Asile et immigration, agriculture, logement) ont en effet contraint les députés à siéger la nuit et deux week-ends d'affilée au Palais-Bourbon, du jamais vu. De quoi inquiéter les premiers concernés, privés de retour en circonscription, d'autant qu'une réforme sur la formation professionnelle, avant celle sur les institutions, doit être débattue en juin au Parlement. «Nous avons siégé ces dernières semaines quatre-vingts heures par semaine», «ce n'est pas le fonctionnement normal d'une Assemblée», a reconnu François de Rugy, avant d'enjoindre ce mercredi au gouvernement de «mettre de l'ordre dans l'ordre du jour» parlementaire saturé.
Si une telle surcharge de travail mettrait hors des clous du code du travail n'importe quelle entreprise classique, les députés, eux, n'ont pas vraiment leur mot à dire. Le mandat électoral ne constitue pas une activité professionnelle, explique à Libération le service presse de l'Assemblée nationale : «Les députés ne sont pas des salariés mais des élus. Ils ne sont donc pas soumis aux dispositions du code du travail.» Exit 35 heures, dialogue social, indemnités de licenciement ou encore droit à la déconnexion. Le travail parlementaire s'exerce dans un cadre «complètement informel», explique Thomas Ehrhard, maître de conférences en sciences politiques à l'université Panthéon-Assas et spécialiste de l'Assemblée. Les députés sont «tributaires du temps parlementaire qui est lui-même largement soumis à l'action du gouvernement, détaille-t-il à Libé. Il s'agit d'un travail qui peut s'avérer intensif, il n'y a pas d'horaires.» Plus l'ordre du jour, défini par l'exécutif, est chargé, plus les parlementaires doivent être présents au Palais-Bourbon. En contrepartie de cette importance charge de travail, les députés bénéficient d'une indemnité de 7 210 euros brut par mois, fixée par référence au traitement des plus hauts fonctionnaires, d'une avance mensuelle pour leurs frais et d'un ensemble d'avantages (billets de train et d'avion, bureau, courses de taxi, forfaits de téléphone…), détaillés sur le site de l'Assemblée nationale.
Peuvent s'ajouter d'autres émoluments, si les députés exercent un mandat local, par exemple conseiller municipal (le cumul est interdit pour plusieurs mandats, comme celui de maire, depuis l'été dernier), ou une activité professionnelle en parallèle. Le député a en effet la possibilité de continuer à travailler pendant son mandat, sauf dans les domaines où le risque de conflits d'intérêts existe (entreprises publiques, magistrature, conseil…), expliquait Libération l'année dernière. Des activités difficiles à concilier avec un mandat parlementaire en cas de marathon législatif, comme en ce moment. Certes, le député ne peut pas être licencié pour abandon de poste en cas d'absence comme un salarié lambda, mais les adeptes du mandat buissonnier s'exposent tout de même à des retenues financières. Depuis 2009, des sanctions ont été mises en place en cas d'absence non justifiée en commission. François de Rugy a également réaffirmé en début d'année vouloir appliquer les sanctions financières pour les «multirécidivistes de l'absence» lors des votes dits solennels, dans l'hémicycle, pour l'instant jamais mises en œuvre.
Des collaborateurs mobilisables à tout moment
Au-delà de l'implication des députés se pose aussi celle de leurs assistants, également soumis à une pression importante en cas d'agenda législatif en surchauffe. Plusieurs organisations de collaborateurs, épaulés par des élus, ont dénoncé ces derniers jours la cadence intenable et leurs potentielles «conséquences sur la santé». D'autant que si les députés membres de groupes conséquents peuvent organiser des roulements (les députés La République en marche sont, par exemple, répartis en groupes de permanence), les collaborateurs, s'ils ne sont pas appelés à siéger, doivent être mobilisables à tout moment. Or ils ne bénéficient «d'aucun statut correspondant à leur situation», pointent l'Association française des collaborateurs parlementaires et la CFTC-Parlement. Leur fonction exige certes des «contraintes de disponibilités» a reconnu ce dernier dans un communiqué, mais «des milliers d'heures supplémentaires» réalisées ces derniers mois «ne sont ni payées, ni compensées.» Seulement 100 heures supplémentaires ont été déclarées au total l'année dernière, bien loin des heures effectivement réalisées par les 1 900 assistants parlementaires, selon Patrice Petriarte secrétaire générale du Syndicat Solidaires-Assemblée nationale, joint par Libé. Le syndicat réclame des élections professionnelles, la reconnaissance de la portabilité de l'ancienneté (actuellement, l'ancienneté d'un collaborateur qui change de député n'est pas prise en compte), déjà reconnue au Sénat ou encore la mise en place d'un salaire minimum (pour l'instant fixé au Smic).
Des primes pour les fonctionnaires
Enfin, l'accélération du rythme législatif a aussi un impact sur l'ensemble des fonctionnaires qui travaillent au Palais-Bourbon. Des fonctionnaires astreints «à une obligation de disponibilité absolue», dixit le site de l'Assemblée, «le rythme de travail devant en toutes circonstances s'adapter à celui de l'activité parlementaire». Au nombre d'environ 1 200 à l'Assemblée, ils relèvent pour leur part d'un statut particulier et touchent des primes notamment en cas de séances de nuit, dont le montant fait régulièrement polémique. Sont concernés les administrateurs, les assistants de direction ou encore les agents aux fonctions diverses. «Tous les services doivent fonctionner dès lors que l'Assemblée nationale est en séance, de la bibliothèque au service transports (vente de billets d'avion ou de train) en passant par la cafétéria», décrivait l'ex-député René Dosière il y a quelques années. Au-delà de l'impact humain, les horaires à rallonge et les délais restreints subis tout particulièrement par les administrateurs de l'Assemblée, qui écrivent les lois, peuvent faire craindre des «répercussions sur la qualité de l'élaboration de la loi», souligne Thomas Ehrhard, de l'université Panthéon-Assas, des inquiétudes formulées ces dernières semaines par certains députés. Reste à voir si ce week-end de repos leur suffira à récupérer.