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Libération

La grande boucle du recyclage

Depuis la loi de 2015 sur la transition énergétique, l’économie circulaire est devenue un enjeu national. Fin avril, le gouvernement a donné un coup d’accélérateur en présentant une feuille de route. Mais le chemin est encore long.
publié le 8 juin 2018 à 17h36

Qui n’a pas, dans un placard, un tee-shirt acheté quelques euros et porté moins d’une dizaine de fois ? Cette situation banale peut-être un bon exemple des méfaits de l’économie linéaire qui prévaut depuis la révolution industrielle. La fabrication d’un tee-shirt utilise 2 700 litres d’eau et génère 23 kg de gaz à effet de serre par kilo de matière. Il parcourt une fois et demie le tour de la Terre avant d’être vendu en magasin, et finit généralement inutilisé dans un placard après un an ou carrément jeté à la poubelle. Avec la raréfaction des ressources naturelles, ce type de gaspillage n’est plus tolérable. Car ce tee-shirt pourrait évidemment être recyclé ou réutilisé ; les deux piliers de l’économie circulaire, une alternative durable à l’économie linéaire.

Obsolescence programmée

Le terme apparaît pour la première fois en 1989 dans l'ouvrage Economics of Natural Resources and the Environment, écrit par deux chercheurs américains qui s'appuient sur les travaux de l'économiste Kenneth Boulding qui écrit avec humour : «Quiconque croit que la croissance exponentielle peut continuer sans fin dans un monde fini, est soit un fou, soit un économiste.» En 2002, le label Cradle to Cradle (C2C, du berceau au berceau), élaboré par le chimiste allemand Michael Braungart et l'architecte américain William McDonough, popularise «l'écoconception» (concevoir des produits respectant les principes du développement durable).

En France, la notion a émergé au moment du Grenelle de l’environnement en 2007. Mais c’est en 2015, avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), que l’économie circulaire devient un enjeu national. Il reste du chemin à parcourir pour faire de l’Hexagone un champion de cette nouvelle économie. Concernant le recyclage des déchets ménagers, par exemple, le taux moyen dans l’Union européenne est de 45,8 % pour seulement 41,7 % pour la France, loin derrière l’Allemagne, (66,1 %) ou l’Autriche (57,6 %, source Eurostat). Plus d’une bouteille plastique sur deux est encore incinérée, alors que 90 % sont recyclées dans les pays nordiques.

Néanmoins, notre pays est plutôt en avance sur certains sujets, comme la pénalisation de l’obsolescence programmée, une mesure unique en Europe.

300 000 emplois supplémentaires

«L'objectif de 100 % d'économie circulaire, c'est Emmanuel Macron qui l'a porté durant la campagne», rappelle Arnaud Leroy, nouveau président du conseil d'administration de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), ancien porte-parole du mouvement En marche. Le 23 avril, le Premier ministre, accompagné de Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, a présenté la feuille de route du gouvernement pour une économie circulaire depuis une usine du groupe SEB, qui s'est engagé à ne fabriquer que des produits réparables. Ce programme (1) contient 50 mesures dont les objectifs sont ambitieux : réduire de moitié les déchets mis en décharge, tendre vers 100 % de plastique recyclé d'ici à 2025 et créer jusqu'à 300 000 emplois supplémentaires.

Seront-ils atteints ? «Le plastique recyclé existe déjà. Mais nous devons stopper l'inflation de nouvelles molécules, comme les oxo-fragmentables, un "faux plastique bio" dégradable mais non assimilable par les organismes vivants, que nous avons fait interdire», précise Arnaud Leroy. Côté social, le président de l'Ademe rappelle que «le recyclage nécessite quatre fois plus d'emplois que l'enfouissement, car il faut encore une présence humaine très forte. De plus, ce sont des emplois non délocalisables». Pour lui, le plan du gouvernement est un «vrai projet de société dont l'enjeu est d'embarquer l'ensemble des acteurs économiques».

François-Michel Lambert, député LREM des Bouches-du-Rhône et fondateur de l'Institut de l'économie circulaire en 2013, se dit lui aussi satisfait de cette feuille de route. Avec un bémol : «Il manque un pilote pour mettre en œuvre cette stratégie. Tant que nous n'aurons pas dans l'exécutif un secrétaire d'Etat "Economie circulaire" non rattaché au ministère de la Transition écologique, nous n'y arriverons pas», estime l'ex-député EE-LV, qui se verrait bien à ce poste.

Pour Rémy Le Moigne, consultant et auteur de l'Economie circulaire, stratégie pour un monde durable (Dunod), cinq pratiques constituent les bases de cette alternative à une économie linéaire à bout de souffle. La première, et la plus connue, est le recyclage des déchets dit «en boucle longue», dans laquelle ils sont collectés, triés puis recyclés (compostage ou méthanisation pour les déchets organiques). La deuxième est le recyclage en boucle courte, qui recycle une même matière sans la mélanger avec d'autres. L'eau, le carbone, les matériaux biosourcés (fabriqués à l'aide de matières premières végétales ou animales), les nutriments et certains métaux précieux sont concernés.

Le troisième modèle consiste à prolonger la durée de vie des objets grâce à la maintenance, au reconditionnement (pour les ordinateurs et les smartphones par exemple) et au remanufacturing (démontage, remise en état, remontage et tests, revente). «Un moteur de voiture remanufacturé coûte 30 % de moins qu'un neuf, à performances identiques voire supérieures. L'usine Renault de Choisy-le-Roi, dédiée à cette fonction, est la plus profitable du groupe», explique Remy Le Moigne. Quatrième concept : la vente de l'usage ou économie de la fonctionnalité. On n'achète plus un produit mais son utilisation, comme pour les vélos en libre-service type Vélib. Une pratique vertueuse qui se développe aussi dans l'univers professionnel. Hilti met ainsi à disposition de ses clients du bâtiment un parc d'outils contre un abonnement mensuel, qu'il maintient, répare et remplace.

L’économie du partage, ou économie collaborative, constitue le cinquième modèle. Les plateformes d’autopartage ont été popularisées par BlaBlaCar, et la location d’appartements entre particuliers par Airbnb. De nombreux autres services similaires ont fait leur apparition : partager son véhicule avec Drivy, son outillage avec Zilok ou sa place de parking avec Zenpark. Un marché en croissance rapide : selon le cabinet PwC, le chiffre d’affaires de ces plateformes devrait augmenter de 35 % par an en Europe, contre 3 % pour l’ensemble de l’économie, pour atteindre 83 milliards d’euros d’ici 2025, contre 4 milliards aujourd’hui.

Bassins fluviaux affectés

Reste que l’économie circulaire est encore balbutiante. Remplacer les procédés de fabrication et de consommation actuels par d’autres plus vertueux prendra du temps. Or il y a urgence, compte tenu du réchauffement climatique. L’eau, par exemple, est une des ressources les plus menacées. Le stress hydrique touche désormais un tiers du territoire de l’UE. En cause : la surexploitation de la ressource pour l’irrigation, l’industrie et le développement urbain. En 2030, la moitié des bassins fluviaux de l’UE seront affectés. La solution s’appelle REUT pour «réutilisation des eaux usées traitées», qui fait l’objet d’une étude récente de l’Institut national de l’économie circulaire (2).

«L'utilisation de l'eau est le symbole de l'économie linéaire, avec une mise à disposition en grande quantité sans contraintes juridiques qui aboutit à une surconsommation», estime François-Michel Lambert. La REUT répond aux fameux «3 R» de la consommation durable : réduire (les déchets), réutiliser, recycler. On peut utiliser ces eaux usées traitées pour l'irrigation agricole, l'arrosage des golfs et des espaces verts, le nettoyage des voiries ou le lavage des voitures. Et même… les boire, comme c'est déjà le cas au Texas et en Californie…

«Au début du XXe siècle, il y avait une moissonneuse-batteuse par village. On s'organisait collectivement pour l'utiliser», rappelle François-Michel Lambert. Le temps est sans doute venu de revenir à un type de consommation plus sobre et moins égoïste.

(1) https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Feuille-de-route-Economie-circulaire-50-mesures-pour-economie-100-circulaire.pdf

(2) «L’économie circulaire dans le petit cycle de l’eau : la réutilisation des eaux usées traitées» (mai 2018).