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Libération

Le secteur du miel déverse son fiel contre l’herbicide

Le syndicat apicole de l’Aisne a porté plainte jeudi contre Bayer et son Roundup, dont le glyphosate aurait contaminé plusieurs productions.
publié le 8 juin 2018 à 20h36

D'ordinaire, quand on associe les mots «abeilles» et «pesticides», on ajoute «pesticides néonicotinoïdes». Ces insecticides neurotoxiques, surnommés «néonics» ou «tueurs d'abeilles», agissent sur le système nerveux central des insectes, provoquant une paralysie mortelle. Introduits dans les années 1990, utilisés sur plus de 20 % de la surface agricole utile française et bientôt largement interdits en Europe et en France (voir Libération du 27 avril), ils sont mis en cause dans l'explosion catastrophique du taux de mortalité des abeilles ces dernières années : les apiculteurs sont obligés de renouveler autour de 30 % de leur cheptel chaque année, avec parfois des pertes de 50 % à 80 % dans certains endroits.

Cancérogène. Ils se retrouvent partout dans l'air, l'eau et les aliments, dont le miel : 75 % de ceux produits dans le monde sont contaminés aux néonics, selon une étude parue en 2017 dans la revue Science. Le glyphosate, un autre pesticide -qui appartient, lui, à la famille des herbicides- très décrié car jugé cancérogène probable par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), n'avait pas jusqu'ici été associé aux abeilles. Même si l'herbicide le plus utilisé au monde, substance active du Roundup de Monsanto et ses génériques, se retrouve lui aussi partout dans l'environnement, dans nos boissons et notre nourriture... donc pourquoi pas dans le miel. C'est désormais chose faite.

Famille Michaud Apiculteurs, le plus gros sélectionneur et vendeur de miel en France, qui figure dans le top 3 européen, notamment avec sa marque Lune de Miel, a détecté la présence de glyphosate dans trois fûts de miel toutes fleurs d'un apiculteur habitant près de Laon (Aisne), une région de grandes cultures (colza, betterave, tournesol, luzerne). Et ce dernier en a averti le syndicat apicole de l'Aisne, lequel a porté plainte jeudi contre l'industriel allemand Bayer. Une date qui coïncide avec le rachat définitif de l'Américain Monsanto, bouclé jeudi -un mariage à 63 milliards de dollars visant à créer un monstre de l'agrochimie-. Et avec la mobilisation nationale des apiculteurs, qui ont manifesté dans plusieurs villes pour réclamer des aides exceptionnelles face à «l'hécatombe» de leurs cheptels et un environnement plus favorable aux pollinisatrices. Avec le soutien d'un invité surprise, Nicolas Hulot, venu les rejoindre jeudi matin sur l'esplanade des Invalides à Paris.

«Chasse». Les apiculteurs ont beaucoup parlé au ministre des néonicotinoïdes (avant leur introduction, les mortalités d'abeilles n'étaient que de l'ordre de 5%)...mais pas de la plainte contre Bayer au sujet du glyphosate. «J'ai découvert cette information jeudi soir quand un journaliste m'a appelé», confie Gilles Lanio, président de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf), qui organise du 14 au 16 juin les APIdays, journées nationales en faveur des abeilles et des pollinisateurs sauvages dans plus de 130 villes. Celui-ci dit ne «pas avoir connaissance» d'études attestant de la dangerosité du glyphosate pour les abeilles, «contrairement aux 11 000 études à charges sur les néonicotinoïdes» mais admet que le glyphosate «a obligatoirement un effet négatif sur elles car en réduisant la biodiversité, il réduit leurs sources d'alimentation». S'il dit entendre parler du glyphosate dans le miel «pour la première fois», il concède qu'on puisse en trouver «des traces, puisqu'on respire et boit tous du glyphosate». Surtout, alors que «les apiculteurs sont victimes des pesticides», il craint que cette «chasse au glyphosate» dans le miel ne les pénalise encore plus, alors que ce pesticide est par ailleurs «employé de manière frauduleuse avant récolte pour augmenter les rendements, par exemple sur les petits pois».

Et il «reste très prudent» quant aux analyses de Famille Michaud, car «cela pourrait servir à cette entreprise d'argumentaire pour mettre en avant son laboratoire d'analyse des miels et de dénigrer le miel français, alors qu'elle a été pointée du doigt à cause de son miel d'importation, notamment de Chine, et nous en veut d'avoir réclamé un étiquetage» mentionnant le pays d'origine des miels. Et de s'interroger sur le niveau de la contamination au glyphosate détecté par Famille Michaud dans ses miels. «La réglementation permet de vendre un miel contenant jusqu'à 50 ppb [partie par milliard] de glyphosate. Les trois fûts que nous avons refusé en contenaient 16 ppb : notre niveau d'exigence est plus élevé que la norme», assure Vincent Michaud, le PDG de l'entreprise dont les ventes «dépassent 100 millions d'euros» par an. Depuis le début de l'année, la société «a rejeté 12% des échantillons de miel français pour cause de glyphosate, provenant de 7 producteurs». Et d'autres pays aussi ? «Oui, mais nous n'avons pas le chiffre exact».

Famille Michaud recherche aussi la présence de sirops de nourrissement ou d'antibiotiques destinés aux abeilles, «mais pas les néonicotinoïdes car on n'en trouve pas dans le miel, ou à des niveaux infimes». S'il vend «un tiers de miels français, un tiers d'européens et un tiers de pays tiers (Argentine, Ukraine, Brésil et «très marginalement» Chine)», il se défend d'en vouloir à l'UNAF et à sa demande d'étiquetage des miels. Mais soutient, notamment auprès du ministre de l'Agriculture, que «la qualité d'un miel n'est pas liée à son origine géographique mais aux pratiques apicoles et aux contaminants diffusés dans la nature». D'où l'importance de l'analyse des miels avant commercialisation pour «préserver la pérennité de l'entreprise en assurant la fiabilité absolue des miels».