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Libération
Décryptage

Qui est Ahmed H., ce réfugié irakien arrêté par la DGSI en mars ?

publié le 8 juin 2018 à 19h46

L’affaire est tout sauf banale. On a appris jeudi, via une info de TF1, qu’un Irakien réfugié en France et habitant dans le Calvados avait été arrêté le 6 mars à Lisieux puis mis en examen trois jours plus tard, pour «crime de guerre» et «assassinats en relation avec une entreprise terroriste». Il a depuis été placé en détention provisoire par des juges antiterroristes parisiens. Lesquels soupçonnent Ahmed H., 33 ans, d’avoir été un cadre dirigeant de l’EI.

De quoi est-il accusé ?

Les autorités irakiennes l'accusent d'avoir participé au massacre de 1 700 personnes en Irak, à proximité de Tikrit, en juin 2014, alors qu'il gérait, pour le compte de l'EI, la région de Samarra. Il est rare que de tels actes permettent de mettre en cause nommément les responsables. Dans cette zone au nord de Bagdad, qu'ont tenue les jihadistes de l'EI en 2014 et 2015, des hommes armés avaient enlevé des centaines de recrues de l'armée irakienne, des chiites pour la plupart, avant de les exécuter une par une. Ce massacre est connu comme celui du camp militaire de Speicher. En garde à vue, Ahmed H. a nié avoir été un ancien cadre de l'EI. Selon une source proche du dossier interrogée par le Monde, il n'a pas le profil des jihadistes qui se sont infiltrés parmi les migrants avec l'objectif de rejoindre l'Europe pour y commettre des attentats. Il s'agirait plutôt d'un vétéran qui fut un partisan de l'EI à ses débuts, en premier lieu au nom de sa haine anti-chiites.

Comment a-t-il pu vivre en France ?

Ahmed H. a, selon les autorités irakiennes, quitté son pays fin 2014. L'Irak aurait alors alerté la coalition militaire internationale et la France sur sa possible présence en Europe. Les conditions dans lesquelles il a pu gagner notre territoire sont encore floues, mais il semble qu'il soit passé par la Hongrie, puis par l'Allemagne. Selon le Monde, il est venu par ses propres moyens et a obtenu le statut de réfugié en juin 2017 auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), bénéficiant du coup d'une carte de résident de dix ans. Le déclenchement de l'enquête a engendré le retrait de son statut de réfugié.

Quand a-t-il été mis sous surveillance ?

Peu après l’obtention de ce statut, à la suite de l’émission d’une notice rouge Interpol, la DGSI place Ahmed H. sous surveillance à partir de l’été 2017. Aucune activité terroriste n’a été constatée depuis son entrée en France, selon une source de France Info au sein des services de renseignement. Le 6 novembre, une information judiciaire est ouverte par le parquet de Paris. Elle conduira à son arrestation par la DGSI début mars.

Comment peut-il être poursuivi en France ?

Alors que les autorités irakiennes ont elles aussi ouvert une procédure judiciaire à son encontre (pour avoir géré la région de Samarra pour l’EI), Ahmed H. est mis en examen en France pour «assassinats en relation avec une entreprise terroriste», «association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre des crimes d’atteintes aux personnes», «crimes de guerre par atteinte à la vie», «crimes de guerre par traitements inhumains et dégradants», «crimes de guerre par l’usage de moyens et de méthodes de combat prohibés et participation à un groupement formé en vue de préparer des crimes de guerre».

S’il peut être poursuivi pour «crime de guerre» sur le sol français pour des faits qu’on l’accuse d’avoir commis en Irak, c’est au titre de la «compétence universelle» : cette disposition juridique permet, notamment en France, de porter plainte pour des faits graves commis à l’étranger, à condition que la personne visée soit présente sur le sol français. Alors qu’en juillet 2015, Bagdad a condamné de façon expéditive 24 personnes à la pendaison pour le massacre du camp Speicher, rappelons que la France refuse d’extrader les ressortissants passibles de la peine de mort dans le pays où ils sont recherchés. L’avocat d’Ahmed H. n’a pour l’instant fait aucun commentaire.