C'est une petite musique insistante jouée par le gouvernement : il faut réformer la politique sociale. «L'enjeu, c'est de faire en sorte que notre modèle social réponde aux réalités de la pauvreté contemporaine», a expliqué au JDD Agnès Buzyn, ministre des Solidarités. Tout en promettant qu'«il n'y aur[ait] pas de coupes budgétaires sur les plus pauvres». Il y a quelques jours, elle affirmait qu'il fallait «arrêter de financer ce qui ne fonctionne pas»… De quoi faire, au passage, quelques économies pour réduire le déficit public. Comment ? En s'attaquant à la prime d'activité. Ce dispositif permettant aux travailleurs modestes de cumuler des revenus d'activité et de solidarité «fonctionne mal», selon Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics. Pour Buzyn, elle est «utile». Et la ministre d'assurer que «remettre en cause» la prime d'activité «n'a jamais été discuté». En revanche, il faudra «interroger sa construction et ses bénéficiaires». Reste qu'avec 2,67 millions de foyers bénéficiaires, dont le revenu d'activité moyen (1 043 euros mensuels) est proche du seuil de pauvreté, une refonte du dispositif est socialement explosive. Et politiquement risquée pour un gouvernement accusé de favoriser les «premiers de cordée». Paradoxe, ce même gouvernement avait annoncé l'an passé, suite à la promesse du candidat Macron, une revalorisation de 50 % de la prime d'activité, avec un premier geste de 20 euros mensuels dès octobre. Une promesse réaffirmée par Buzyn dimanche…
Qu’est-ce que la prime d’activité ?
Fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité, le dispositif est né en 2016 sous le gouvernement Valls pour «inciter à la reprise d'activité et que le travail soit valorisé». Ouvert aux plus de 18 ans, ce complément (d'un montant de base de 531,10 euros majoré en fonction de la composition et de la situation du foyer) se déclenche dès le premier euro de revenu d'activité perçu. Puis il est dégressif à mesure que le revenu d'activité augmente, jusqu'à ce que ce dernier atteigne 1 500 euros net mensuel (1,3 smic) pour une personne seule. En moyenne, en 2017, il s'élevait à 158 euros mensuels. Avec un taux de recours de plus de 70 %, la prime a eu un franc succès, dépassant son prédécesseur, le complexe RSA-activité, qui laissait du monde sur le bord de la route. Mais elle a aussi atomisé les projections de ses créateurs qui tablaient sur un taux de recours limité à 50 %. Avec pour résultat un budget en hausse : 5,06 milliards d'euros en 2017, contre 4 milliards prévus.
Le dispositif est-il efficace ?
Selon un rapport d'évaluation de 2018, les bénéficiaires soulignent un «soutien utile voire indispensable à leur pouvoir d'achat». La prime a de fait engendré un recul du taux de pauvreté de 0,4 point. En parallèle, le nombre de personnes sans aucunes ressources recevant le RSA-socle a diminué de 0,6 % en 2017 (et 4,3 % en 2016). Mais les effets sur l'emploi sont «difficiles à appréhender». Le rapport souligne que les trois quarts des bénéficiaires sont en emploi, mais qu'une moitié d'entre eux, bien que titulaires d'un CDI, travaillent à temps partiel. Un constat repris par l'économiste Mathieu Plane dans le Nouveau Magazine littéraire. Selon lui, la prime d'activité crée une «incitation au retour à l'emploi et réduit les trappes à inactivité». Avec un bémol : elle peut pousser vers des emplois précaires «en n'incitant pas les entreprises à être attractives en termes de rémunération», les petits salaires étant compensés. Mais pour Darmanin, il y a un hic : pourquoi alors, malgré la «croissance économique et les créations d'emplois», le recours à la prime explose-t-il ? En évoquant des aides «pas assez incitatives», le ministre semble pointer le manque d'allant des actifs précaires à sortir de l'inactivité, plutôt que la responsabilité des employeurs frileux sur les salaires.
Que veut faire le gouvernement ?
Selon les Echos et le Monde, il pourrait modifier des paramètres pour cibler les plus précaires. Il lui suffirait d'abaisser le niveau de ressources à partir duquel on n'a plus droit à la prime. De quoi «donner plus à ceux qui ont moins», comme le préconise Buzyn. Mais en faisant des victimes collatérales chez les travailleurs modestes à peine au-dessus du smic. Autre option : l'exécutif pourrait bousculer en profondeur le dispositif en le fusionnant avec d'autres. A partir de 2019, comme promis par le candidat Macron, le gouvernement va mettre en place un «versement social unique» des prestations sociales. De là à fusionner des aides sociales, il n'y a qu'un pas que les Britanniques ont franchi en 2013 avec le universal credit, regroupement de dispositifs dont le versement est en partie conditionné à la recherche d'emploi. En France, en 2017, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, rattachée au ministère du Travail, s'est livrée à un exercice théorique de transposition de ce modèle. Selon elle, «une réforme semblable en France affecterait les aides au logement, la prime d'activité, mais potentiellement aussi des dispositifs fiscaux». Ce même document concluait, pour le cas britannique, à un «impact modéré sur le retour à l'emploi» et à terme, «quoiqu'elle profite globalement aux ménages modestes», à une «diminution du revenu de certains ménages pauvres». Voilà le gouvernement prévenu.