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Interview

Marc Fesneau : «Pour avoir un Parlement qui fonctionne mieux, réviser la Constitution est nécessaire»

Malgré des divergences, notamment sur la révision constitutionnelle, et la difficulté à peser sur les décisions, le chef de file des députés Modem, Marc Fesneau, continue de voir en LREM le partenaire naturel de son parti. Ils feront campagne commune aux européennes de 2019.
Marc Fesneau, le 14 juin à Paris. (Photo Frédéric Stucin pour Libération)
publié le 17 juin 2018 à 18h06

Chef de file des députés Modem à l’Assemblée nationale, Marc Fesneau, 47 ans, est rapporteur du projet de loi sur la révision des institutions. Elu du Loir-et-Cher, il est proche de la ministre d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, Jacqueline Gourault, élue sur les mêmes terres.

En tant qu’allié du parti macronien et membre de la majorité présidentielle, approuvez-vous le silence observé par la France quand l’Aquarius et les 629 migrants à son bord cherchaient un port d’accueil ?

Ce silence initial m'a gêné. Quand on a des gens sur un bateau, on a un devoir d'humanité. C'est la vocation de la France d'accueillir ces personnes au nom de l'urgence. La réponse de Paris a été de dire que les Italiens ne faisaient pas face à leurs responsabilités. Je ne suis pas d'accord. Reconnaissons que les dispositions européennes actuelles relèvent d'une accumulation d'égoïsmes nationaux honteux. On laisse les Italiens face à une situation intenable, qui a fait le lit de la Ligue et du Mouvement Cinq Etoiles, dont nous ne partageons pas les idées. Il faut revoir les accords de Dublin. Emmanuel Macron et Gérard Collomb ont eu raison de dire que c'est un sujet européen [lire aussi pages 6-7, ndlr].

Le Modem, allié à La République en marche, fait partie intégrante de la majorité. Mais avec ses 47 députés contre 314 pour LREM, est-il possible pour vous de faire valoir votre différence ?

Nous avons un groupe qui fonctionne, homogène de pensée et très collectif. A chaque fois que l’occasion se présente, nous portons un message particulier. Par exemple, lors du dernier projet de loi de finances, nous avons alerté le gouvernement sur le seuil à partir duquel la CSG allait augmenter, qui nous semblait trop bas. Nous n’avons pas été entendus. C’était une façon pour nous, tout en respectant les engagements présidentiels, d’interroger la mesure au regard des objectifs généraux du projet d’Emmanuel Macron, à savoir de libérer et de protéger.

Au sein de la macronie, des voix sont de plus en plus nombreuses à considérer que l’action du gouvernement pèche sur ce second volet…

Il est vrai que sur les huit derniers mois, on a eu le sentiment que la volonté de libérer l'activité l'emportait sur la nécessité de mieux protéger les citoyens. Mais c'est aussi un défaut de communication. Les mesures qui relevaient du «protéger» n'ont peut-être pas été assez mises en valeur. Car elles ne sont pas absentes, loin de là. Il faut se souvenir qu'un certain nombre de minima sociaux - vieillesse, allocation adulte handicapé - ont été revalorisés, ce qui parfois n'avait pas été fait depuis une dizaine d'années. Il ne faut pas non plus oublier les 1,2 milliard d'euros alloués au budget de l'Education, notamment pour financer le dédoublement des classes de CP en zone prioritaire. D'autres mesures sont votées qui entreront prochainement en vigueur, comme le premier dégrèvement de 30 % sur la taxe d'habitation. D'autres, comme le reste à charge zéro sur les lunettes, les soins dentaires ou les prothèses auditives, ont été annoncées mercredi par le Président. Néanmoins, cet automne, dans le cadre de l'examen du projet de budget 2019 pour l'Etat et la Sécurité sociale, nous comptons pousser encore les feux sur la question sociale.

Que pensez-vous du renoncement du gouvernement à créer la «banque de la démocratie» que François Bayrou avait appelée de ses vœux ?

C’est regrettable à double titre. Sur le fond, il s’agissait de protéger la démocratie des puissances de l’argent. Aujourd’hui, certains candidats aux élections ne peuvent accéder au crédit bancaire du fait de la frilosité des banques. Résultat, pour lever l’argent nécessaire à leur campagne, ils recourent à des micropartis ou cherchent des financements à l’étranger, au risque d’un dévoiement du système. L’idée de Bayrou était de créer une banque publique qui puisse accorder des prêts sans juger les opinions politiques du demandeur.

Sur la forme, cela pose aussi question. Cette mesure a été adoptée par l’ensemble de la majorité lors du vote de la loi de moralisation de la vie publique. Le Parlement avait habilité le gouvernement à créer cette «banque de la démocratie» par voie d’ordonnance. Qu’il y renonce ne fait pas disparaître le problème. Cela dit, sur la moralisation, nous avons travaillé et de réelles avancées ont été faites.

Attendue pour cette année, la révision constitutionnelle voulue par Macron a été repoussée à 2019. Dans la classe politique, beaucoup interprètent ce report comme une volonté de l’exécutif de remiser le projet…

Tout le monde se fait peur ou se réjouit à l’idée que cette révision constitutionnelle n’aura pas lieu. Mais vous n’enclenchez pas un processus comme celui-là si vous comptez l’enterrer. Si la révision a été repoussée, c’est d’abord pour une question d’embouteillage parlementaire. Elle sera examinée en première lecture à l’Assemblée nationale en juillet, mais pas avant octobre au Sénat. Cela repousse mécaniquement à l’année prochaine son réexamen par les deux Chambres du Parlement. Ce que je peux vous dire, c’est que la réforme profonde des institutions fait partie du pacte que le Modem a passé avec le chef de l’Etat et que nous ferons tout pour créer les conditions de son aboutissement.

Il y a les vœux pieux et il y a la faisabilité. Aujourd’hui encore, le Sénat ne semble guère emballé par ce projet…

Je crois à la possibilité de trouver les voies d'un accord entre les deux Chambres. Améliorer la procédure parlementaire est un premier objectif que nous partageons. Aujourd'hui, la fabrique de la loi n'est pas satisfaisante. De la même façon, on peut tomber d'accord sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), la suppression de la Cour de justice de la République (CJR), ou la composition du Conseil constitutionnel. Je suis convaincu que nous avons aussi des voies possibles de convergence avec le Sénat sur la différenciation territoriale, à savoir la possibilité d'adapter les lois et règlements aux spécificités locales, ce qui est actuellement impossible. Là où nous aurions des difficultés, c'est si on commençait à laisser s'ouvrir toutes les boîtes de Pandore. Ni moi ni le chef de file des députés LREM, Richard Ferrand, ne le souhaitons. Inutile de créer des divergences rédhibitoires avec le Sénat. La Constitution de la Ve République reste la base, il faut en garder la philosophie initiale. On ne veut pas d'une VIe ni d'un retour à la IVe…

Vous parlez de la révision constitutionnelle en tant que telle. Mais les vrais sujets, ce sont les trois dispositions intégrées dans deux lois pendantes, à savoir la réduction du nombre de parlementaires, l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée et le non-cumul des mandats dans le temps…

C’est exact. Le Sénat envisage la réforme comme un bloc. Je partage cette opinion. Il faudra donc attendre novembre et l’examen par la Chambre haute de ces deux lois organique et ordinaire pour savoir si elle a une volonté réelle d’aboutir. La réduction du nombre de parlementaires est un point dur : le Sénat estime la baisse trop forte pour qu’il soit possible de représenter les territoires, d’autant qu’avec le non-cumul des mandats locaux et nationaux, l’ancrage territorial s’estompe déjà. L’élargissement mécanique des circonscriptions renforce cette inquiétude. Nous en débattrons.

La baisse du nombre de parlementaires, le non-cumul et la dose de proportionnelle étaient des promesses de campagne, contrairement à la révision constitutionnelle. Pourrait-on avoir les premiers sans la seconde ?

Emmanuel Macron l’a dit : en cas d’impasse avec le Sénat, on peut passer par la voie référendaire sur une partie du tout : il y a de bonnes chances que les Français, si on les interroge, votent en faveur de la baisse du nombre de parlementaires et du non-cumul des mandats dans le temps… Néanmoins, si le but c’est d’avoir un Parlement qui fonctionne mieux, réviser la Constitution est nécessaire. En cas de blocage, l’objectif initial de la réforme n’aura pas été atteint.

La réforme constitutionnelle peut-elle être aussi soumise à référendum ?

Oui, c’est possible pour une part. Ceci étant, j’ai un mauvais souvenir de la dernière fois qu’on a livré une Constitution au suffrage direct. C’était en 2005 avec le traité constitutionnel européen.

Le Modem est lui aussi partagé sur le détail de ces mesures…

C’est vrai. Nous considérons que 15 % des députés élus à la proportionnelle, soit 60 sur 400, c’est trop peu. Cela permet de représenter un peu mieux les différentes opinions mais pas de se distinguer. Nous avons aussi un problème avec les modalités de l’entrée en vigueur du non-cumul dans le temps. En l’état, le renouvellement de la vie politique n’interviendrait qu’à partir de 2032 ou 2034. Ce retard à l’allumage sera incompréhensible pour les Français. Nos collègues de LREM pensent la même chose que nous et le Sénat évolue aussi sur la question. Il y a peut-être une solution de moyen terme à trouver. Sur le nombre de parlementaires, le Sénat ne veut pas qu’il y ait moins d’un sénateur par département. La réforme serait alors à l’avantage des territoires ruraux, qui seraient mieux représentés qu’aujourd’hui. C’est un point d’équilibre possible, logique et légitime.

Comment le Modem aborde-t-il la campagne européenne ?

Sur l’Europe, nous partageons l’ambition et la logique du Président. Nous ferons donc campagne avec LREM. Nous discutons des modalités. La tête de liste n’est pas encore arrêtée. L’un comme l’autre, nous souhaitons encore élargir le cercle des sensibilités sans que notre liste apparaisse comme la citadelle assiégée des Européens béats. Notre avantage, c’est la cohérence de notre message. La difficulté, c’est la montée en puissance de mouvements extrêmement antieuropéens chez nos voisins, comme on le voit en Italie. Il nous faut faire une campagne lucide sur l’Europe. Dire que si ça ne marche pas, ce n’est pas parce qu’il y a trop d’Europe mais pas assez. Sur les flux migratoires, les intérêts commerciaux, sur le climat, la France seule ne peut rien régler.

Envisagez-vous comme LREM de vous allier avec des maires PS sortants ou LR aux élections municipales ?

Le partenariat naturel, c’est LREM et le Modem. Il faut que nous déterminions ensemble une stratégie et que nous nous mettions en situation d’avoir des candidats dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants. Avec nos deux formations, nous pouvons faire un maillage sérieux. Il ne faut examiner la possibilité d’un partenariat avec les maires sortants que dans un second temps. Ce doit être un élargissement, pas des deals à la tête du client. Les électeurs ne le comprendraient pas. D’ici là, les européennes auront eu lieu et leur résultat peut encore bouleverser le paysage politique, notamment à droite.