Aux couples hétérosexuels les enfants en bonne santé, aux homosexuels les «trop cassés». Interrogée par France Bleu Normandie Seine-Maritime/Eure ce mardi, la responsable du service adoption de Seine-Maritime, en présence d'une responsable de la communication du Département, précisons-le, a tenu des propos discriminatoires. Elle a été depuis suspendu de ses fonctions.
Est-ce «a priori compliqué» pour un couple homosexuel d'adopter «un bébé qui va bien, de trois mois» ? «Il y aura des parents qui correspondent davantage aux critères requis», répond Pascale Lamare.
- «Et donc pas un couple homosexuel?», insiste la journaliste de France Bleu.
- «Ben non», tranche la responsable.
Selon elle, les couples de même sexe sont «un peu atypiques, si on peut dire, par rapport à la norme sociale et à la norme biologique», et «donc si leur projet supporte des profils d'enfants atypiques […], si les couples homosexuels ont des attentes ouvertes, ils peuvent très bien adopter un enfant». Invitée à préciser ce qu'elle entendait par «enfant atypique», la responsable de service répond : «des enfants dont personne ne veut, puisqu'il y a des gens qui veulent pas adopter des enfants trop cassés, trop perturbés psychologiquement, trop grands, handicapés. Ces enfants-là ont des perturbations qui ne sont pas recherchées par les couples et c'est normal».
Loi Taubira
La loi Taubira, adoptée en 2013, a pourtant ouvert l'adoption aux couples de mêmes sexes. Dans la réalité cependant, comme le montrait une enquête de Franceinfo, beaucoup de couples rencontrent des obstacles supplémentaires à ceux inhérents à la démarche.
France Bleu a d'ailleurs recueilli des témoignages de couples homosexuels faisant état de discriminations dans le département. Ainsi, Julie, 38 ans, en couple avec une femme depuis 10 ans, explique avoir rencontré la responsable en 2016 en vue d'une adoption. La fonctionnaire «nous a tenu le même discours qu'à la journaliste. A savoir qu'il est très difficile pour un couple homosexuel de voir son projet aboutir». «Si nous voulions quand même persévérer dans cette démarche, il fallait que nous soyons prêts à accueillir un enfant à besoin spécifique, très grand ou alors avec des problèmes de santé», assure-t-elle.
A en croire Les cahiers de l'école pastorale, publication d'une école de formation de pasteurs, Pascale Lemare, affirmait déjà en 2000: «Pour la psychanalyse … l'enfant a besoin qu'on lui fournisse des modèles identificatoires, le petit garçon a besoin de se valoriser dans une relation avec une image d'homme qui le virilise, et la petite fille avec une image qui incarne la féminité.»
L'Association des familles homoparentales (ADFH) a annoncé le dépôt d'une plainte auprès du procureur de la République de Rouen, par la voix de son président, Alexandre Urwicz.
L'homophobie comme l'handiphobie ne sont pas des opinions mais des délits. Madame Lemare ne peut plus assurer la responsabilité du service adoption de @seinemaritime . Ecoutez l'ITW. Condamner c'est bien, agir c'est mieux. @Prefet76 https://t.co/Vndx4PnbPm
— ADFH (@ADFH_asso) June 19, 2018
Une enquête du défenseur des droits
Le défenseur des droits Jacques Toubon, a quant à lui annoncé sur Twitter se saisir «afin d'enquêter sur les pratiques du service de l'adoption du département de la Seine-Maritime». «Les enfants sont égaux. Et toutes les familles aussi», a-t-il écrit.
« Les enfants sont égaux. Et toutes les familles aussi. Le Défenseur des droits se saisit d’office afin d’enquêter sur les pratiques du service de l’adoption du département de la Seine-Maritime. » – JT
— Défenseur des droits (@Defenseurdroits) June 19, 2018
Ces propos «sont contraires aux principes de neutralité, d'égalité et de refus des discriminations qui caractérisent la fonction publique. Je les condamne», a tweeté le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Action et des Comptes Publics, Olivier Dussopt.
.@MarleneSchiappa condamne les propos litigieux à l’encontre de familles homoparentales dans le cadre de l’#adoption et rappelle qu’aucune #discrimination ne saurait être tolérée #LGBT pic.twitter.com/CCH2WYNA1H
— Mathieu Pontécaille (@mpontecaille) June 19, 2018
Le président du département, Pascal Martin (Mouvement radical) a très vite «condamné très fermement» ces propos dans un communiqué et «[réaffirmé] qu'en aucun cas, l'orientation sexuelle des futurs parents n'est un critère d'évaluation» du service. Interrogé par l'AFP sur d'éventuelles sanctions, le conseil départemental avait cependant dans un premier indiqué que son président attendait le résultat d'un audit externe pour voir s'il existait un dysfonctionnement à l'intérieur du service. Elle a finalement été directement relevée de ses fonctions «à titre conservatoire».
Je condamne fermement les propos de madame Lemare qui ne reflètent en rien la position du Département et mes convictions personnelles. Il n’y a aucune différence à faire entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Tous ont les même droits.
— Pascal MARTIN (@Pasc_Martin) June 18, 2018