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Justice

Mort de Naomi Musenga : au Samu de Strasbourg, des manquements à l’appel

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales fait état des graves manquements qui ont précédé et suivi la mort de la jeune femme, dont les appels n’ont pas été pris en compte.
A Strasbourg le 16 mai, lors d’une marche blanche organisée par le collectif «Justice pour Naomi». (Photo Pascal Bastien)
publié le 20 juin 2018 à 20h56

Des fautes en cascade du début à la fin, du diagnostic à la remise du dossier médical. Tout dans cette histoire est finalement marqué du sceau de la légèreté, voire de l'incompétence. Dans un vocabulaire froid et distant, le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) «sur les circonstances ayant conduit au décès d'une jeune patiente, Naomi Musenga, à la suite des appels adressés au Samu de Strasbourg le 29 décembre», rendu public mercredi après-midi, se révèle d'une extrême sévérité. Très logiquement, l'Igas a recommandé d'accepter la démission que le responsable du Samu avait présentée au début de l'affaire.

Ce rapport avait été demandé par la ministre de la Santé en mai, après la diffusion par le site d'information local Heb'di d'un dialogue ahurissant entre une assistante de régulation du Samu de Strasbourg et la jeune femme mourante.

Nous sommes le 29 décembre, dans la matinée. Naomi Musenga, 22 ans, appelle le Samu :

«Madame, j’ai très mal…

- Ben, vous appelez un médecin hein, d’accord ? Voilà, vous appelez SOS médecins.

- Je peux pas.

- Vous pouvez pas ? Ah bon, vous pouvez appeler les pompiers, mais vous pouvez pas…

- Je vais mourir.

- Oui, vous allez mourir, certainement, un jour comme tout le monde… Vous appelez SOS Médecins, d’accord ?

- S’il vous plaît, aidez-moi madame.

- Je peux pas vous aider, je sais pas ce que vous avez.

- J’ai très mal, j’ai très très mal…»

«Ton dur»

Le rapport de l'Igas est clinique. Il reconstitue en détail le traitement de différents appels d'urgence. Contrairement aux premières justifications faites par l'employée de régulation, l'activité de son service était, alors, forte mais normale. Le rapport indique : «L'analyse des flux d'appels reçus montre un contexte de forte activité, mais des conditions normales d'organisation du service avec des effectifs rapportés au nombre d'appels décrochés conformes aux conditions habituelles.» A 11 h 30, Naomi Musenga est donc mise en relation avec le Samu de Strasbourg, après avoir échangé avec l'opératrice du centre de traitement des appels (CTA) des pompiers. «Lors de son échange, l'assistante de régulation médicale emploie un ton dur, intimidant et déplacé face à des demandes d'aide réitérées», note l'Igas. Première grave faute. Ensuite ? Rien ne va fonctionner pour rattraper cette grossièreté initiale. «Naomi Musenga n'a pas accès à un médecin, bien que deux médecins régulateurs soient présents sur la plateforme d'appel», mentionne l'Igas, qui précise que «les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé prévoient pourtant que tout appel doit faire l'objet d'une régulation par un médecin… En outre, aucune question permettant d'éclairer l'état clinique de la patiente n'est alors posée». A 12 h 32, cela recommence. La même assistante de régulation médicale reçoit un autre appel concernant Naomi Musenga, mais il s'agit d'un proche qui appelle d'un autre téléphone. «De manière similaire au premier appel, l'analyse de situation réalisée par l'assistante de régulation médicale ne conduit pas au transfert de l'appel à un médecin régulateur… Pas plus que lors du premier appel, l'assistante ne recherche les informations qui auraient permis de préciser l'état clinique de la patiente.»

A 13 h 47, les choses basculent. Une autre assistante reçoit un appel de SOS Médecins, et le transfère immédiatement au médecin régulateur qui déclenche l'envoi d'une équipe du Service mobile d'urgence et de réanimation (Smur). Celui-ci arrive sur place à 13 h 58. «Les réponses non adaptées de l'assistante de régulation médicale ont conduit à un retard global de prise en charge de près de 2 h 20», tranche l'Igas. Il est trop tard. En dépit d'une prise en charge par le Smur puis d'un transfert en réanimation, Naomi Musenga meurt à 17 h 30.

«Choc»

Mais l'incompétence et la maladresse vont se poursuivre. L'Igas relève que «l'annonce du décès n'a pu se tenir dans des conditions satisfaisantes en l'absence de lieu dédié et adapté». Ensuite, «la transmission de l'enregistrement de l'appel au père de Naomi n'a pas été assortie d'une proposition d'accompagnement, pourtant indispensable compte tenu de l'immense choc». Plus grave encore, «le décès de Naomi Musenga n'a pas donné lieu à une déclaration formelle. Les suites immédiates qui ont été données par le responsable du Samu (entretien avec rappel à l'ordre de l'assistante de régulation médicale) n'ont pas été à la hauteur de la gravité de la situation. La suspension définitive de l'assistante de régulation médicale n'est intervenue qu'un mois plus tard, après que le directeur du CHU a eu connaissance de l'événement». L'Igas notant aussi un vocabulaire fort peu approprié dans le rapport d'autopsie remis à la famille. Mercredi, la ministre de la Santé a annoncé qu'elle présenterait, début juillet, un plan «de mesures pour actualiser les procédures», et «renforcer les formations des personnels».