Une intervention policière qui dégénère ? Quatre jeunes hommes âgés de 19 à 27 ans comparaissaient mardi après-midi devant le tribunal correctionnel de Nanterre, accusés de violences sur des policiers. Les deux parties ont mutuellement porté plainte pour «violences» l'une contre l'autre. Les faits, révélés début juin par 20 minutes, remontent au 2 mai dernier. Saisie d'une plainte, la police des polices (IGPN) a ouvert une enquête.
Mercredi 2 mai, dans le centre de Ville-d’Avray, commune plutôt tranquille des Hauts-de-Seine aux confins de Boulogne-Billancourt. Il est aux alentours de 21h30. Un groupe de jeunes discute. Parmi eux, trois frères : Alassane D. lycéen de 17 ans et footballeur semi-professionnel, Sambala D. 19 ans, étudiant en BTS et animateur pour enfants à la Ville, et Bassirou D., 27 ans, malentendant et judoka professionnel en équipe nationale handisport. L’un de leurs amis, Amaury M., 20 ans, judoka de haut niveau et animateur pour enfants, est aussi présent. Ce sont ces trois derniers qui étaient cités à comparaître devant la justice avec Mohamed D., 25 ans, autre grand frère d’Alassane D. actuellement en formation pour devenir coach sportif. En dépit de leur qualité de prévenus, les quatre se considèrent victimes.
Coups de matraque au visage
L'élément déclencheur est un projectile reçu par Alassane D. à l'épaule. Il pourrait s'agir d'un plomb de carabine. Blessé, l'adolescent de 17 ans est transporté aux urgences. Trois policiers arrivent sur les lieux. La suite est confuse. Selon la plainte visant les policiers, que Libération a pu consulter, Mohamed D. arrive sur place quelques minutes après les fonctionnaires. Il aurait alors fait part de son étonnement face aux contrôles d'identité, et reproché aux policiers de ne pas rechercher plutôt l'auteur du tir. Des propos qu'il ne conteste pas avoir tenus. L'un des policiers lui aurait alors intimé de «dégager et fermer sa gueule», avant de le ceinturer et le plaquer au sol en l'étranglant avec sa capuche et lui assénant de multiples coups de matraque au visage et à l'épaule, selon la plainte. Mohamed, souffrant d'une forme sévère de drépanocytose, une maladie du sang dont les conséquences les plus graves peuvent conduire à l'AVC, aurait fait une crise liée à cette altercation. Ses frères et amis alentour auraient prévenu qu'il pouvait en mourir, la réplique du policier aurait fusé : «Je m'en fous, il va mourir.»
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Selon le procès verbal rédigé par les policiers, résumé au cours de l'audience de mardi, les faits ne se seraient pas déroulés ainsi : Mohamed D. se serait montré agressif et serait revenu au contact avec les policiers après avoir été repoussé. Ils déclarent aussi avoir essuyé une réaction hostile à leur arrivée, car deux personnes sur un scooter leur auraient adressé des doigts d'honneur. D'après la plainte visant les policiers, plusieurs personnes auraient tenté de dégager Mohamed D. alors qu'il était aux prises avec l'un des policiers. Ces derniers soutiennent avoir été victimes de violences à ce moment-là. L'un des trois fonctionnaires de police aurait alors dégoupillé une grenade de désencerclement puis dégainé son arme et tiré en l'air à deux reprises. Des détonations que l'on peut entendre dans une vidéo publiée sur le site de 20 minutes. Le brigadier admet avoir pointé avec son arme des jeunes qui restaient, afin de les faire fuir.
Plaie surinfectée
Dans ce laps de temps, Mohamed D. se serait réfugié dans le hall d’un immeuble voisin, rapidement suivi par les policiers. Les forces de l’ordre auraient brisé la porte vitrée pour y pénétrer, et, selon la version de Mohamed D., l’auraient à nouveau frappé à plusieurs reprises malgré ses supplications, avant de l’interpeller et le placer en garde à vue.
Consulté par Libération, le certificat médical dressé à l'issue de la garde à vue confirme la maladie de Mohamed D. et la crise vaso-occlusive qu'il a développée, due selon le médecin au «stress important lié à ces agressions physiques». Le document recense de multiples traces de coups à l'épaule, au visage et à la cuisse, ainsi qu'une plaie surinfectée après une morsure au pouce. L'incapacité totale de travail (ITT) est évaluée à 12 jours. L'un des policiers, qui a eu deux doigts cassés, s'est vu signifier 21 jours d'ITT.
L’affaire devait être jugée en comparution immédiate le 4 mai, mais avait été renvoyée faute d’interprète en langue des signes. Mardi, Me Grégory Saint Michel, avocat de Mohamed D., et Me Nadja Diaz, avocate de trois autres prévenus, ont tous deux plaidé en faveur de l’ouverture d’une instruction. Une issue à laquelle s’est farouchement opposé le procureur de la République au cours de son réquisitoire, estimant que l’affaire pouvait être jugée en l'état. Il n'a pas été suivi : le tribunal a décidé de renvoyer l’affaire au ministère public, qui devrait à présent saisir un juge d’instruction. Le contrôle judiciaire des quatre prévenus est maintenu.
Me Florence Dugué, avocate de deux des trois policiers, n'était pas opposée à un renvoi. Interrogée à l'issue de l'audience, elle n'a pas souhaité faire de commentaire. La défense a elle bien sûr salué cette décision en disant espérer que cela «permettra de faire la lumière sur ce dossier».