Nostalgie des années à 90 km /h ? Pas à Frontignan. Ainsi s'achève le dernier week-end avant l'obligation de lever le pied : le 1er juillet, la limitation de vitesse passera de 90 à 80 km /h sur de nombreuses routes secondaires de France, comme celles de Frontignan, une commune de l'Hérault calée entre mer et étangs. Nous voilà donc à la fin d'une époque. Nous sommes allés rencontrer les témoins de ce temps bientôt révolu près de Montpellier. Plus précisément aux Aresquiers. Cette longue bande de sable, c'est la vraie plage des Montpelliérains, vaste et sauvage, méconnue des touristes qui préfèrent s'entasser sur celle, plus accessible, de Palavas-les-Flots. Ainsi donc, sur les départementales menant aux Aresquiers, se sont succédé plusieurs générations de Montpelliérains. Il faut dire que la route est belle : elle longe d'abord une petite voie ferrée, puis des champs où s'agitent des herbes folles et quelques chevaux camarguais. A l'approche de la mer, l'horizon s'élargit. De part et d'autre du bitume, la garrigue, quelques vignes, des étangs, des dizaines d'oiseaux marins jouant dans le vent. Et tout droit, direction Frontignan et son muscat.
Pépère
Plusieurs tronçons de cette route sont concernés par la nouvelle réglementation et vont bientôt perdre de la vitesse. En attendant, ça roule vite. Très vite, même. Dans les lignes droites, le conducteur pépère se fait allègrement doubler. Coup d'œil au compteur : un 4×4 nous dépasse à plus de 110 km /h. Tout comme ce motard vénère qui accélère et fait cabrer sa machine… «Ici les gens roulent tout le temps beaucoup trop vite, d'autant que dans ce secteur, la signalisation des vitesses est très confuse, raconte Aude, 67 ans. Je vis dans un village, tout près de là, et je vais vous dire : les gens, quand ils viennent à la mer, ils sont fadas. Ils ne font attention à rien, même pas aux vélos. Il faut juste qu'ils arrivent le plus vite possible. Alors, la nostalgie des 90 : non merci, c'est pas pour moi.» Certes. Mais dès dimanche prochain, combien de précieuses minutes les Montpelliérains vont-ils devoir gaspiller sur des routes limitées à 80 avant de pouvoir déguster ici leurs coquillages et crustacés préférés ? On pose la question à Yves, 55 ans, qui s'apprête à rejoindre la plage. Sa réponse fuse : «Moi je suis sapeur-pompier, spécialiste de la désincarcération routière. Vous savez combien de temps il faut pour extirper un gars d'une voiture accidentée ? Une heure trente dans le meilleur des cas. Mais souvent bien davantage. Quand on sort le gars, il pleure. Et la première chose qu'il nous demande, c'est s'il pourra remarcher un jour. Ça fait trente-cinq ans que j'entends ça. Les gens se prennent pour des pilotes. Quand ils comprennent qu'ils ne le sont pas, c'est trop tard.» On se permet d'insister, un poil provocateur : cette mesure ne va-t-elle pas quand même tous nous faire perdre un temps précieux ? Yves rajuste ses lunettes : «Allez demander à un accidenté sur son lit d'hôpital ce qu'il en pense.»
On se dit alors que des nostalgiques se cachent peut-être parmi les plus jeunes, réputés davantage pressés que leurs aînés. Tiens, par exemple ces deux-là, des trentenaires armés de leur parasol et de leur glacière. «On habite dans le nord de Montpellier, il nous faut environ 40 minutes pour venir aux Aresquiers, mais on est prêts à lever le pied, répondent Pierre et Kévin. Quand on est en vacances, on vient quasiment tous les jours ici, et sinon chaque week-end… La semaine prochaine, on mettra un peu plus de temps, c'est tout.» Sans regret s? Sans sacrifice ? «Non, mais on aimerait savoir plus clairement quelles sont les routes concernées par les baisses de vitesse. Les deux voies sans terre-plein central, d'accord, mais sur les routes à trois voies, on fait quoi ? Pour l'instant, c'est pas clair. On espère qu'ils mettront suffisamment de panneaux, qu'on s'y retrouve.»
«240 km/h»
Personne donc pour regretter le temps, déjà presque révolu, où le paysage défilait plus vite ? Si : Gérard. Cet enfant du pays vient tout juste de fêter ses 83 ans, et se souvient avec émotion des années où, derrière le volant de ses bolides (dont une Porsche, celui dont il est le plus fier), il filait sur les routes héraultaises tandis qu'aucun radar, aucun panneau de limitation de vitesse, ni aucun uniforme ne venaient assombrir son sentiment de liberté. «Une fois, je suis monté à 240 km /h sur l'autoroute, glisse-t-il dans un sourire malicieux. Sur les deux fois deux voies, comme celle qui mène à La Grande Motte, je pouvais rouler jusqu'à 170… Et sur certaines petites routes, j'allais parfois à 120… Oui, on allait vite, très vite même.»
Gérard n'a jamais eu d'accident. Pas même de PV, «sauf pour la ceinture de sécurité». Mais il reconnaît qu'il a eu de la chance. «Et surtout, ajoute-t-il, il faut dire que c'était autre époque. Il y avait beaucoup moins de monde sur les routes. Aujourd'hui, tout est différent. D'ailleurs, maintenant, c'est ma femme qui conduit…»