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Libération
Reportage

A Marseille Saint-Charles, «si on n’a pas gagné, on n’a pas perdu non plus»

Epuisés mais pas totalement découragés, les grévistes marseillais aimeraient «donner un second souffle au mouvement».
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille
publié le 26 juin 2018 à 20h36

Un bilan ? Pour quoi faire ? A la veille de l'ultime séquence de grève prévue par le calendrier, les cheminots marseillais n'ont pas l'intention d'en rester là. «Un bilan, ça validerait la fin du mouvement par rapport au calendrier. Je préfère parler d'état des lieux, pour tracer des perspectives», corrige Frédéric Michel, délégué Sud rail à Marseille. Après trois mois d'une grève particulièrement suivie en région Paca - le taux de grévistes était encore de 45 % chez les mécanos lors de la dernière séquence -, le responsable syndical ne veut pas entendre parler de fin de conflit. «Nous ne sommes pas arrivés à faire plier le gouvernement, concède-t-il. Mais si on n'a pas gagné, on n'a pas perdu non plus. Ce n'est pas tant qu'il faille continuer, c'est qu'on ne peut pas s'arrêter.» Question de sémantique ? Pas seulement, plaide le guichetier, qui s'appuie sur le rejet toujours très fort chez les cheminots du pacte ferroviaire et sur la mobilisation qui reste soutenue, y compris sur le mois de juin. De là à motiver les troupes pour poursuivre le mouvement cet été, c'est une autre histoire.

Après quarante jours de grève cumulés sur trois mois, les difficultés financières pèsent lourd dans la balance. «Dans les prochains jours, les premiers paiements issus des caisses de grève vont arriver», promet Pascal Guglielmi, de la CGT, qui reconnaît que la situation n'est pas simple. «Mais on savait dès le départ qu'on était dans une stratégie d'usure, et elle fonctionne des deux côtés, souligne le contrôleur. Le gouvernement en a marre des grèves, mais chez les cheminots c'est dur aussi. Ces trois mois ont pesé financièrement, et sur le mental. Mais tous ont compris les enjeux. Il faut redonner un second souffle au mouvement. Ce n'est pas terminé !»

«Soft». Après le retrait annoncé des syndicats «réformistes», l'Unsa et la CFDT, le terrain marseillais attend l'issue des discussions au niveau national entre les deux centrales encore en lutte, SUD et la CGT, pour se positionner sur la suite. En jeu, les revendications, mais aussi les nouvelles modalités de grève. Dès le départ, SUD, qui plaidait pour un mouvement reconductible, s'était montré très réticent sur l'idée d'un calendrier de grèves perlées avec des dates fixées à l'avance. Car ce mode d'action prévisible a permis à la direction de la SNCF de s'organiser pour limiter les effets de la grève. «C'est ce qui a asphyxié le mouvement, soutient Frédéric Michel. On était sur une grève soft, de routine. J'ai jamais vu aussi peu de monde en AG à Saint-Charles… Quand t'arrives à quarante jours de grève fin juin, moi j'aurais préféré les faire quotidiennement, on aurait eu un rapport de force plus important.» De grève reconductible, il n'en est plus question, vu l'état des troupes. Pour la suite, SUD plaide plutôt pour des grèves au moment des grands départs de l'été, mais sans calendrier préfixé. De son côté, la CGT réfléchit encore, sans renier sa stratégie: «Ce n'est pas parce que le gouvernement n'a pas reculé que la méthode du calendrier doit être remise en cause, rétorque Pascal Guglielmi. Les cheminots savaient que ce serait difficile face à Macron. Et on a quand même obtenu quelques avancées.»

«Foutu». Pour l'heure, il faut déjà montrer les muscles lors des deux derniers jours de grève inscrits au calendrier, ce mercredi et jeudi. Une action intersyndicale est prévue jeudi en gare Saint-Charles pour montrer aux usagers que la lutte continue. Même sans grande conviction : «Moi, je pense que c'est foutu, mais on n'a quand même pas fait ça pour rien, souffle un jeune conducteur. Maintenant qu'on y est, il faut aller jusqu'au bout.»