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Libération
Interview

«A 28 ans il est plus fort que tous ces poulets d’élevage»

Jean-Luc Mélenchon détaille sa relation «délicate et forte» avec Adrien Quatennens, dont il vante les qualités politiques.
publié le 28 juin 2018 à 20h26

Le président de groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon, salue les débuts d’Adrien Quatennens, qu’il couve comme d’autres jeunes pousses du mouvement.

Quand vous êtes-vous rencontrés ?

En 2012, pour la première fois. Puis il est arrivé progressivement et le lien s’est réellement construit lors de la dernière présidentielle. Il était dans une boucle Telegram de jeunes militants qui dirigeaient les campagnes locales. Lui se chargeait d’une partie de Lille et j’ai vite repéré qu’il était du bois dont on fait les dirigeants.

C’est-à-dire ?

C’est un connaisseur qui vous parle, il faut cocher de nombreuses cases ! D’abord, il faut être un organisateur. Adrien est un gars ultra-méthodique, capable de se relever la nuit pour envoyer un mail aux camarades à temps ou de s’occuper de la couleur des nappes pour la réunion publique. Il faut savoir assimiler une ligne politique pour pouvoir la reproduire et la décliner. Et puis disposer de qualités humaines pour gagner la confiance des copains. Ses ressorts sont sains, il ne veut pas écraser les autres, il est très équilibré.

Quel type de relation avez-vous ?

C’est compliqué de parler de ça, notre relation est délicate, très forte. C’est l’un des rares avec qui je peux passer quelques jours en congé. Avec moi, il a toujours été naturel donc ça m’a mis à l’aise. Il représente beaucoup pour moi, pas seulement lui d’ailleurs, il y en a d’autres de cette trempe. Politiquement il m’aide. Il est froid dans l’analyse, il regarde tous les paramètres avant de prendre une décision : je sais qu’il n’emmènera personne dans le mur par lubie. Il m’inspire une confiance totale. Il est mille fois moins fantasque que moi… et c’est une belle vertu.

Vous demande-t-il des conseils ?

Dès son arrivée à l'Assemblée, il m'a demandé ce qu'il fallait lire en plus de mes livres ! Je lui ai suggéré une bonne base : forcément des bouquins marxistes, Socialisme utopique et socialisme scientifique d'Engels, Histoire de la révolution russe de Trotski, et roule ! Je recommande des livres qui aident à ressentir des situations, pas des œuvres froides. Dernièrement, il m'a interrogé sur les questions internationales : j'aimerais l'emmener rencontrer Bernie Sanders aux Etats-Unis en octobre, et en Amérique latine. Adrien est un bourreau de travail, tout l'intéresse, il en demande toujours plus. Mais il n'a pas le choix s'il veut arriver au niveau qui lui est destiné.

A quel niveau voudriez-vous le porter ?

Evidemment on a tendance à se projeter. Mais vous savez, depuis la mort de François Delapierre [cofondateur du Parti de gauche et plus proche conseiller de Mélenchon, décédé en 2015, ndlr], j'ai fini de me projeter. J'ai changé d'attitude. Je ne fais plus de plan sur la comète sur les personnes. Si tu as vraiment envie, tu viens, je t'aide de toutes mes forces, je t'apprends, je te nourris… tout ce que tu veux. Mais débrouille-toi !

Pour vous, il se détache ?

Oh oui ! Mais je me garde de la folie de croire que je pourrai dominer l’avenir. Je les aide tous, garçons et filles, sans savoir sur lequel la suite va tomber. J’aide tout le monde.

A gauche, de nombreux dirigeants reprochent à Quatennens de suivre excessivement la ligne, d’avoir un côté «trop» Mélenchon…

Bah voyons ! Qu’est-ce que ça veut dire, «trop» Mélenchon ? Ce sont des méchancetés blessantes. Ils veulent qu’il se fâche avec moi ? C’est ça son ticket d’entrée : dire du mal de Jean-Luc ? Adrien il lui faut du temps, il sera plus beau, plus grand. Le moment venu, vous verrez, il aura sa patte, complètement personnelle. Mais il en a déjà une petite et ça les fait suer, à 28 ans il est plus fort que tous ces poulets d’élevage qui lui reprochent d’être «trop» Mélenchon.

Quatennens s’est illustré lors de son discours contre les ordonnances travail l’été dernier. Pourquoi lui avoir confié cette intervention très stratégique ?

J’ai agi comme président de groupe. Face à moi, les 16 députés La France insoumise sont des têtes dures mais aussi des anxieux. Avec cette élection, ils venaient de changer de monde. Pour beaucoup d’entre eux, la vie de député n’était pas au programme. Il a fallu rassurer tout le monde en ne faisant aucune différence pour que chacun se dépasse. Adrien lève la main, c’est tombé sur lui, ce n’était pas une faveur du prince. Avant son discours, on a un peu bavardé mais il ne m’a pas demandé de relire son texte. J’avais un peu la trouille mais à la tribune, il a scotché tout le monde, il a tué le match. Il assène : bam-bam et encore bam. Magnifique ! Ce jour-là, ceux qui espéraient être débarrassés après Mélenchon ont dû admettre que non, la vie ne reprendra pas comme avant. Les suivants sont là. Pour mes ennemis, mauvaise nouvelle : ils viennent d’en prendre pour cinquante ans !