Voilà donc le premier obstacle du gouvernement sur le (long) chemin de la réforme des retraites annoncée pour 2019 : les pensions de réversion. Depuis une bonne semaine, l'exécutif tente d'éteindre ce petit feu parlementaire qui menace de se transformer en incendie électoral si l'idée s'installe que le gouvernement souhaite faire des économies sur le dos des retraités après la hausse de la CSG en 2018. Mais pour l'instant, ni Macron, via Twitter, ni Philippe, devant les parlementaires, n'ont réussi à étouffer le sujet. La faute à une nouvelle sortie, jeudi, du secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, Christophe Castaner : «Si vous faites dans la justice, pour certains elle peut baisser, pour d'autres elle peut augmenter», a déclaré le patron d'En marche.
Qu’est-ce qu’une pension de réversion ?
Institué en 1945, ce système conçu, à l'époque, «comme une protection du conjoint à charge», selon le Conseil d'orientation des retraites, permet à des veuves (majoritaires) et à (quelques) veufs de toucher une partie de la retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier leur conjoint. Pour y avoir droit, le survivant d'un ex-salarié ou d'un non salarié doit avoir été marié avec la personne disparue, avoir au moins 55 ans et ne pas dépasser 20 550,40 euros de ressources annuelles brutes pour une personne seule. Modeste, cette réversion, égale à 54 % de la retraite du défunt, ne peut dépasser 10 727,64 euros par an, soit 894 euros mensuels. Dans la fonction publique, un dispositif proche permet de recevoir une réversion à hauteur de 50 % de la retraite de base de l'agent décédé. Du côté des régimes complémentaires, ce taux peut grimper jusqu'à 60 % et l'âge minimum pour y avoir droit à 65 ans, pour certaines professions.
Au total, 4,4 millions de personnes, dont un million n’ayant aucune autre pension en propre, sont concernées par la réversion, tous régimes confondus. Avec une très large majorité de femmes (89 % des bénéficiaires), dont l’espérance de vie à la naissance est plus longue de 5,8 ans que celle des hommes. Coût total du dispositif : 35,8 milliards d’euros versés en 2013, soit 12 % des dépenses de retraite.
Pourquoi ce sujet fait-il polémique ?
Il a suffi d'une question inscrite dans un document de travail remis aux partenaires sociaux pour laisser s'installer l'idée que le gouvernement allait toucher aux pensions: «Compte tenu des évolutions en matière de taux d'emploi des femmes et de conjugalité, doit-on maintenir des pensions de réversion ?» «Fidèles à notre méthode, nous posons sans tabou toutes les questions que soulève un des aspects de notre système de retraite, s'est justifié le Haut Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, dans la Croix. Certains courants politiques considèrent que les pensions de réversion sont obsolètes, au nom de l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce n'est pas notre analyse.» Le gouvernement a beau y aller, ces derniers jours, de ses plus belles dénégations, rien n'y fait. Les «inquiétudes qui remontent de la population», comme l'a fait remarquer mardi dans l'Hémicycle le sénateur LREM des Bouches-du-Rhône, Michel Amiel, se sont installées chez des retraités déjà marqués par la hausse de 1,7 point de CSG.
A l'Assemblée, oppositions de gauche comme de droite s'en donnent à cœur joie. «Le gouvernement entretient le flou sur ses intentions», a lancé Hervé Saulignac, député PS de l'Ardèche. Député LR de la Somme, Emmanuel Maquet a quant à lui dénoncé la «brutalité» et «l'obsession» du gouvernement «à considérer les retraités comme des privilégiés».La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a accusé les oppositions d'«utiliser les peurs» : «Vous n'avez pas le monopole de la défense des veuves et des orphelins !» a-t-elle lancé.
Que répond le gouvernement ?
Devant les sénateurs, le Premier ministre s'est voulu «clair» : «En aucune façon, le gouvernement ne travaillerait sur des mesures qui viendraient amoindrir ou remettre en cause les pensions de réversion.» Le même jour, à l'Assemblée, Agnès Buzyn promettait que «les personnes qui reçoivent déjà une pension de réversion ne verront évidemment aucun changement». Fin de la polémique ? Pas vraiment… Car si la parole de l'exécutif semble solide sur les pensions actuelles - le gouvernement n'y touchera pas - le flou est entretenu sur les futures pensions de réversion du régime universel de retraites sur lequel le Haut Commissariat travaille.
D'autant que Macron a voulu préciser les choses via Twitter et qu'en lisant entre les lignes, on comprend que la future réforme fera des perdants… Dans sa «mise au point» (premier tweet) depuis Rome mardi, le chef de l'Etat assure qu'«aucun bénéficiaire actuel ne verra sa pension de réversion diminuer ne serait-ce que d'un centime» et (deuxième tweet) qu'«il n'est pas question de supprimer les pensions de réversion pour les futurs retraités». Mais ces derniers «bénéficieront des mêmes prestations pour chaque euro cotisé», précise le Président. Or, primo, une harmonisation des régimes aura un effet à la hausse ou à la baisse sur les retraites et donc par ricochet sur les pensions de réversion. Et deuzio, le gouvernement pourrait être tenté d'homogénéiser les conditions d'obtention des pensions de réversion, ce qui pourrait également faire baisser certaines pensions. Pour ne rien arranger au flou, Edouard Philippe n'a pas distingué les actuels et les futurs pensionnaires dans son discours aux sénateurs, promettant de ne pas toucher à leur niveau… Côté syndicats, on prévient déjà : pas question d'aller vers moins de droits. Force ouvrière réclame un alignement «par le haut» des différents régimes. La CGT milite de son côté pour une extension de la réversion aux personnes pacsées et des pensions à 75 % pour tous les régimes sans condition d'âge ou plafond de revenu. Le débat sur les retraites est lancé. Pas vraiment comme le gouvernement le souhaitait.