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Libération
Reportage

Dans le Limousin, une mesure vécue comme une «offense»

Les élus de Corrèze, de Haute-Vienne et de Creuse ne digèrent pas de ne pas avoir été consultés, et se refusent à avancer les frais de remplacement des panneaux de limitation.
publié le 29 juin 2018 à 20h16

«Le nouveau monde vous demande de ralentir.» C'est cette interpellation ironique que découvriront dimanche les automobilistes qui emprunteront les routes départementales de Corrèze en lieu et place des panneaux de limitation à 80 km/h. Opposant dès janvier à la mesure, Pascal Coste, le président LR du conseil départemental corrézien, ne décolère pas contre ce décret dont il fut le premier à demander une exonération partielle pour les portions qui avaient fait l'objet d'aménagements dans son département.

«La Corrèze est parmi les territoires à la plus faible mortalité routière, un indicateur qui baisse continuellement parce que nous sommes attentifs à financer des aménagements tenant compte des réalités de chaque mètre de bitume. Nous connaissons nos routes, dont nous sommes les premiers aménageurs !» tempête l'élu, trahissant ce que représente à ses yeux la mesure tant décriée. «Un mépris des collectivités, une offense à notre expertise et à notre travail au quotidien», résume son homologue haut-viennois, le socialiste Jean-Claude Leblois. Bien qu'opposant à la mesure, il consent : «Le décret est passé, nous pouvons difficilement aller contre.» Mais il ne digère pas «l'absence totale de concertation. Nous n'avons pas été entendus, ce passage uniforme à 80 km/h nous a été imposé d'en haut, depuis des bureaux à Paris.»

«Tous les usagers de la route ont été invités au tour de table, mais pas nous, premiers financeurs des routes», abonde Pascal Coste. Il faut dire qu'ils y auraient porté d'autres débats, plus importants à leurs yeux. Le président haut-viennois en tête : «Nous avons la troisième nationale la plus mortelle en France, la RN 147. Un plan de sécurisation est entamé et la deuxième tranche de travaux n'a pas été lancée parce que l'Etat tarde pour s'engager financièrement. Ce dossier-là était autrement plus crucial pour la sécurité de nos concitoyens.» Si le coût estimé pour mettre en place les panneaux de limitation à 80 km/h est conséquent pour la Corrèze (de 100 000 à 150 000 euros), dans la Creuse seuls 25 panneaux seraient concernés, pour un budget modeste. Matignon a promis que l'Etat rembourserait les frais engagés par les départements. Mais Valérie Simonet, la présidente LR, a fait savoir que son département n'avancerait rien et ne mobiliserait pas ses agents ce week-end. «C'est une question de principe.» Pour elle «c'est celui qui décide et impose qui doit payer.» A ces fins, elle a pris vendredi une «permission de voirie» donnant autorisation à la préfecture d'effectuer des travaux en bordure de route. Une manière courtoise de dire à l'Etat que s'il veut des panneaux à 80 sur les routes départementales, il le fera sans son aide. «Entre la baisse de la DGF [la dotation globale de fonctionnement, ndlr] qui représente 6,5 millions cumulés pour la Creuse, l'augmentation de la dépense sociale, plus 3 millions de reste à charge et le désengagement de l'Etat, c'est trop facile de décider et d'imposer ainsi aux départements, qui sont une collectivité toujours plus fragilisée.»

Outre le blues des collectivités dont ils sont devenus la voix, les présidents des trois départements de l'ex-Limousin, parmi les plus critiques sur le passage aux 80 km/h, font front uni avec leurs électeurs, qualifiant la mesure d'«anti-voiture» et de «parisianiste». Le verbe tranchant sous son accent chantant, Pascal Coste appuie là où ça fait mal : «Ici, on n'a pas le métro et on a de moins en moins de trains. Taper l'automobiliste, c'est encore taper les petites gens qui n'ont que ce moyen de déplacement et payent déjà fort cher l'augmentation du gazole.» Réagissant à cette fronde, Edouard Philippe a simplement appelé vendredi les élus à «respecter la loi».