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Libération
Reportage

Hautes-Alpes : la «résistance» en supprimant les zones à 70 km/h

Le président du département, très rural et où l’accidentalité est plus élevée que la moyenne nationale, s’oppose à une mesure qu’il juge élaborée pour «la France des urbains».
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 29 juin 2018 à 20h16

L'hiver, la neige recouvre son bitume. Et ce sont les caravanes qui y posent leurs roues l'été. Les routes de Chabottes, village coincé entre les montagnes des Hautes-Alpes, viennent de voir leur paysage se dégager. Le président du département, Jean-Marie Bernard, a décidé d'alléger le champ de vision des automobilistes. Et leurs contraintes. L'élu LR a enlevé lui-même les trois panneaux de signalisation qui limitent la vitesse à 70 km/h sur les routes départementales. Un démontage faisant suite à la signature du «premier arrêté supprimant les zones à 70 km/h».

Si Jean-Marie Bernard permet aux automobilistes de remettre un coup d'accélérateur dans cette commune de 800 habitants, c'est pour s'opposer à la nouvelle limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire. Une question d'harmonisation et de praticité : «Sur la moitié des 2 000 km de routes du département, on ne peut pas rouler à plus de 60 ou 70 km/h car ce sont des routes de montagne, explique son directeur de cabinet, Fabrice Hurth. Et sur les seuls endroits où l'on a la possibilité de doubler, on ne pourra plus le faire car la vitesse sera uniforme pour tout le monde.» Dans les Hautes-Alpes, toutes les routes départementales verront leur vitesse maximale être abaissée à 80 km/h, aucune ne disposant d'un terre-plein central. «Cette configuration, elle marche sur les "trois-voies" et le "périph" à Paris, mais pas ici. On la vit comme une disproportion entre "la France des ruraux" et "la France des urbains", poursuit-il. En rase campagne, si vous êtes coincés une demi-heure entre deux camions à la tombée de la nuit et sous la pluie, les gens vont s'énerver et prendre plus de risques.» Les responsables du département estiment que la priorité devrait être donnée à l'amélioration du réseau routier secondaire, aux créations de zones de dépassement et à la lutte contre l'alcoolémie.

Sur sa moto, Michel André roule «de plus en plus en circuit». Le président du Moto Racing Club de Gap estime que «la route est un piège». Pourtant, il soutient lui aussi le démontage des panneaux «70». «C'est une façon de faire de la résistance, dit-il. Avec une vitesse très réduite, les gens sont moins actifs, moins impliqués et donc moins attentifs. C'est dangereux.» L'année dernière, 16 personnes ont été tuées dans les Hautes-Alpes. «Ce département a une accidentalité élevée par rapport à la moyenne nationale : 75 personnes par million d'habitants meurent sur ses routes. C'est 53 en moyenne nationale, décompte la déléguée générale de l'association Prévention routière, Anne Lavaud. Il est important de trouver des solutions qui permettraient de faire baisser la mortalité dans les départements ruraux. Cette mesure des 80 km/h répond en partie à cette problématique de disparité territoriale face au risque d'accidents.»

Actée dans la commune de Chabottes, l'augmentation de la vitesse devrait être étendue à toutes les zones du département, hors accès aux écoles et portions dangereuses. «Si ces tronçons avaient été abaissés à 70 km/h, c'est qu'il y avait bien une nécessité, pointe Anne Lavaud. Mais il n'y a rien d'illégal à modifier la limitation de ces routes.» Ce n'est pas le cas d'une première mesure prise par Jean-Marie Bernard. En avril, le président des Hautes-Alpes avait, symboliquement et par anticipation, fait voter un texte pour le maintien de la vitesse maximale à 90 km/h dans tout le secteur. Le conseil départemental pourrait le voir levé par le tribunal administratif. Et la vitesse au volant bel et bien s'abaisser dès dimanche.