Avec son projet de loi Elan (Engagement pour le logement, l'aménagement et le numérique) en cours d'examen au Parlement, ainsi que des mesures prises dans le cadre de la loi de Finances 2018, le gouvernement affirmait vouloir «construire plus, plus vite, et moins cher». C'est exactement le contraire qui est en train de se produire. Les prix de l'immobilier sont au plus haut, et les chiffres de la construction commencent à décrocher. Tout est à la baisse: le nombre des mises en chantier (les logements lancés) comme les permis de construire délivrés (qui donnent la mesure des constructions à venir). Selon des statistiques publiés cette semaine par le ministère de la Cohésion des territoires, 98 800 logements ont été mis en chantier au cours des trois derniers mois (de mars à mai) soit une diminution de 6,6% par rapport à la même période en 2017 (près de 105 800 logements lancés à l'époque). Recul analogue au niveau des permis de construire: 115 400 ont été octroyés de mars à mai contre un peu plus de 122 300 pendant la même période en 2017, en baisse de 5,6%.
Pas de bétonnage avant les municipales
Les prémisses d'un ralentissement de l'activité dans le secteur de la construction avaient commencé à se manifester dès décembre 2017. Les chiffres de ces trois derniers mois montrent une accentuation de la dégradation. «L'infléchissement se confirme» admet-on à la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). Une météo de la construction maussade que l'organisation professionnelle attribue notamment au calendrier électoral. «A l'approche des élections municipales, note Alexis Rouque délégué général de la FPI, il est habituel que les élus locaux lèvent le pied sur la construction» en vue de leur réélection. Alors qu'on manque de logements dans les grandes agglomérations, les programmes immobiliers continuent à être perçus comme un acte de «bétonnage» par les voisins, qui sont aussi les électeurs de ces maires en fin de mandat qui comptent rempiler. Sauf que les municipales sont dans deux ans (au printemps 2020). L'échéance électorale semble un peu lointaine pour expliquer le ralentissement actuel, d'autant qu'il s'est manifesté dès la fin de l'année 2017.
Des recours pas si neufs
L'autre explication avancée par la Fédération des promoteurs immobiliers, concerne les recours effectués contre les permis de construire par les riverains, qui freineraient le lancement des chantiers. «Les remontées de terrain de nos adhérents ne sont pas bonnes» souligne Alexis Rouque. Mais le phénomène n'est pas nouveau. Depuis toujours, des promoteurs se plaignent de voir leurs projets ralentis par des pourvois contre leurs permis de construire. En juillet 2016 la FPI avait ainsi publié une enquête faisant état – à l'époque – de 28 000 logements bloqués par des recours. Rien de bien nouveau donc.
Un problème de solvabilité
D’autres explications, plus concrètes au décrochage actuel, sont à rechercher du côté de la demande. Donc du côté des acquéreurs dont la solvabilité est mise à mal par la hausse des prix de l’immobilier et par la suppression d’aides à l’accession à la propriété décidées par le gouvernement dans le cadre de la loi de Finances 2018. Alors que les tarifs de la pierre sont déjà à des niveaux très élevés dans les grandes agglomérations, l’augmentation des prix s’est poursuivie au cours des douze derniers mois. Dans l’immobilier ancien, la Chambre des notaires fait par exemple état d’un prix médian de 5780 euros au mètre carré en Ile-de-France (+5,4% entre avril 2017 et avril 2018) et de 9160 euros à Paris (7,5% sur douze mois). A Lyon on frôle les 4000 euros, à Nice les 4100 euros et à Bordeaux les prix dépassent les 4300 euros, selon les statistiques de MeilleursAgents. Et dans les programmes neuf c’est généralement encore plus cher. Les budgets des acquéreurs ont du mal à suivre cette inflation immobilière. Les clients se font plus rares dans les bureaux de ventes des promoteurs, qui faute d’acheteurs en nombre suffisants sont parfois amenés à lever le pied sur le lancement de certaines opérations.
Prix des terrains en hausse
Jean-Philippe Ruggieri, directeur général délégué de Nexity, ne nie pas l'effet «désolvabilisateur» de ces tarifs de l'immobilier au zénith dans les grandes agglomérations. De nombreux ménages qui souhaiteraient accéder à la propriété sont écartés du marché. En une quinzaine d'années les tarifs de la pierre ont doublé, voire triplé, dans les grandes agglomérations. La faute notamment à l'envolée «des prix des terrains à bâtir qui ont été multipliés par trois dans de nombreuses grandes villes et même parfois par cinq à Paris depuis 2005» pointe le responsable de Nexity. «Les marges des promoteurs n'ont pas augmenté. Les grands gagnants de la hausse des prix de l'immobilier ce sont les propriétaires fonciers» avance Jean-Philippe Ruggieri. Pour faire baisser les prix de l'immobilier, il faut selon lui, pouvoir construire plus dense, plus haut: des immeubles de 7 à 8 étages au lieu des 4 à 5 étages qui sont plutôt la norme actuellement.
Moins de «pognon» pour les accédants modestes
Depuis janvier 2018, le décrochage des acheteurs a été observé par de nombreux courtiers en crédit immobilier. «Nous avons eu un début d'année compliqué. Tout le monde a constaté une baisse du nombre de demande de prêts» indique Sandrine Allonier, l'une des responsables du courtier VousFinancer. La hausse des prix de l'immobilier a été d'autant plus difficile à encaisser pour les acquéreurs que les aides publiques dédiées à l'accession à la propriété ont été ou rognées ou carrément supprimées dans le cadre de la loi de Finances 2018 adoptée en décembre dernier. L'APL accession qui aidait chaque année près de 35 000 ménages modestes à devenir propriétaires n'existe plus pour l'achat de logements neufs. «Versée directement à la banque prêteuse par la CAF, elle était très efficace puisqu'elle permettait de réduire de 25% en moyenne la mensualité du crédit payé par l'emprunteur» explique Sandrine Allonier. Le Prêt à taux zéro (PTZ) autre aide publique, a lui aussi été reconfiguré dans les zones géographiques où le marché de l'immobilier est peu tendu. Là où les ménages modestes accédaient à la propriété en faisant construire un petit pavillon. Mais moins de «pognon» pour les accédants modestes à la propriété ça donne moins de constructions. Entre mars et mai 2018, le nombre de permis de construire octroyé pour les maisons individuelles est en baisse de 13,7% comparé à la même période en 2017.
Les HLM vont aussi lever le pied
Compte tenu du contexte immobilier marqué par des prix hauts et des aides publiques à la baisse, les statistiques de la construction ne vont pas rebondir de sitôt. D’autant que les organismes de HLM, qui doivent compenser par des baisses de loyers la diminution colossale de l’APL (1,5 milliard d’euros) versée par l'Etat aux locataires de logements sociaux, vont aussi lever le pied sur le lancement de programmes neufs. «Construire plus, plus vite et moins cher» ce n’est pas pour demain.