Olivier Barbin, 42 ans, une fille de 7 ans, Poitiers: «Les pères ne sont pas assez accompagnés»
«Dès la première fois que j’ai pris ma fille dans mes bras, j’ai été submergé par le poids des responsabilités. Jusqu’à ses 2 ou 3 ans, je n’étais vraiment pas bien. Elle avait des coliques, que l’on n’arrivait pas à soulager. Du coup, je culpabilisais. Je crois que j’idéalisais la parentalité : je pensais savoir soulager ses pleurs. J’aurais voulu pouvoir tout gérer haut la main, sans stresser. Au lieu de cela, j’étais dans la crainte permanente qu’il lui arrive quelque chose, et cela prenait de telles proportions que j’ai fini par somatiser : j’ai eu des reflux gastriques, la scarlatine et une seconde varicelle. J’étais tiraillé entre le besoin de prendre du recul et la culpabilité. Je perdais confiance en moi, j’étais à fleur de peau, ratatiné. J’ai fini par consulter. Etant un enfant adopté, mon vécu a sans doute joué un rôle. Mais je pense aussi que les parents sont trop soumis à des injonctions contradictoires et que les pères ne sont pas assez accompagnés pour prendre leur rôle à bras-le-corps. Augmenter la durée du congé paternité, améliorer l’égalité hommes-femmes, ce serait de véritables leviers. Ce sont des enjeux de société qui nous concernent tous.»
Auteur notamment du Guide des parents imparfaits : jeune papa, Marabout, 2016.
Lucie, 36 ans, deux enfants de 6 et 8 ans, Bretagne: «Un jour, j’ai fait un malaise en pleine rue»
«Mon second, Antoine, était un bébé qui ne dormait pas et pouvait se réveiller jusqu'à quinze fois par nuit. Il pleurait sans cesse et ne s'apaisait que quand il était dans son écharpe de portage. En congé parental, je le portais donc contre moi toute la journée. En plein été, par 40°C, jusqu'à ce qu'il devienne une sorte de cinquième membre et moi une maman pieuvre qui gérait la maison et notre second enfant. On a alerté les médecins sur ses hurlements. On nous a répondu que c'était des caprices, qu'il voulait sa maman. Il a fallu des mois pour qu'on diagnostique chez lui une œsophagite aiguë. Petit à petit, mon moral s'est dégradé : je ne dormais pas, j'avais l'impression de devenir cinglée. Et même quand Antoine dormait, je croyais entendre ses cris. Je n'existais plus pour moi. Mes enfants étaient en quelque sorte mes bourreaux. J'ai fini par développer de la colère : contre mon fils, que je ne comprenais pas, mon mari, qui pouvait s'échapper en allant travailler. Avec le recul, je crois que je nourrissais une certaine idée de la perfection : avoir une maison impeccable, tout en gérant les gamins… Je souffrais, j'étais profondément épuisée. Pourtant, pour certains de mes proches, c'était juste un coup de mou. Un jour, j'ai fait un malaise en pleine rue. J'ai pris rendez-vous chez mon médecin qui m'a dit que j'étais en plein épuisement maternel. Je n'étais donc pas folle. Il m'a fallu un an, un suivi psychologique, beaucoup de sommeil et des antidépresseurs pour reprendre des forces. J'ai créé un blog pour que les langues se délient : c'est un phénomène hyper courant, mais il reste une part de tabou.»