C’est le procès d’un autre temps du jihad et de sa propagande qui s’ouvre ce mercredi au tribunal de grande instance de Paris. D’une époque où le terrorisme islamiste était surtout influencé par l’idéologie d’Al-Qaeda. D’une période où ceux qui voulaient combattre s’orientaient avant tout vers l’Afghanistan et le Pakistan. Même si on retrouve des acteurs quelques années plus tard, à l’heure des départs en Syrie pour rejoindre les rangs de l’Etat islamique (EI).
Hébergeurs
De 2006 à 2010, plusieurs centaines de personnes gravitent sur le forum de discussion Ansar al-Haqq («les partisans de la vérité»). Pour avoir participé à son administration, David R., Nordine Z., Léonard L. et le déjà bien connu Farouk ben Abbes sont jugés pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme». Selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel datée du 7 mars et signée par les juges d'instruction Nathalie Poux et David de Pas, Ansar al-Haqq contenait «de nombreuses revendications d'attentats émanant de diverses organisations terroristes et prônant le jihad», des textes incitant «à combattre ou encore à soutenir l'action conduite par Oussama ben Laden».
Le message d'accueil d'Ansar al-Haqq est explicite : «Nous soutenons ouvertement les moudjahidin, nos frères et sœurs qui sont emprisonnés aux mains des kouffar ["mécréants", ndlr], des hypocrites et des apostats et ceux qui sont offensés et oppressés.» Le site est créé en décembre 2006, après la fermeture d'un précédent forum. Pour éviter les fermetures par des hébergeurs français, le site est domicilié à Singapour, puis en Malaisie. Quand ils passent en revue la documentation qu'il est possible de télécharger sur le forum, les policiers de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (Sdat) découvrent un véritable manuel du jihadiste à travers une rubrique «apprentissage» et différents documents classés par thème : doctrine, jurisprudence, mise en garde… Un logiciel dénommé «Mujahideen Secrets» permettant d'échanger des informations protégées par une clé de chiffrement, est aussi mis à disposition sur le forum par le Global Islamic Media Front, un organe de propagande lié à Al-Qaeda et doté d'une revue et d'une chaîne vidéo.
Les enquêteurs retrouvent également dans les messages des numéros de téléphone de «talibans» et de responsables de «l'Etat islamique d'Afghanistan», qu'ils considèrent comme des «publications plus opérationnelles». Tandis que des personnes «parties faire le jihad sur zone» donnent régulièrement de leurs nouvelles. Courant 2010, plusieurs gardes à vue sont effectuées. Deux suspects interpellés à l'époque finiront par rejoindre l'EI et sont aujourd'hui détenus dans le nord de la Syrie : Léonard L. et Adrien Guihal. Ce dernier est considéré par les services de renseignement français comme l'un des propagandistes français les plus connus de l'organisation terroriste. Et les services pensent reconnaître sa voix dans les revendications audio des attentats de Magnanville et Nice.
Influence
Dans un organigramme d'Ansar al-Haqq, Adrien Guihal était désigné comme l'«émir». Au fil de l'instruction, il est finalement placé sous le statut de témoin assisté et échappe à un renvoi. A l'époque, l'apologie du terrorisme n'était pas dans le code pénal et les juges estimaient n'avoir pas assez d'éléments pour le poursuivre pour association de malfaiteurs à but terroriste.
Les propos d'un jihadiste poursuivi dans le cadre d'une filière afghane, reproduits dans l'enquête, accréditent l'influence qu'a pu avoir la propagande diffusée sur Ansar al-Haqq : «Ces vidéos représentent des événements choquants. Cela ne peut que révolter celui qui les visionne. Et en ce qui me concerne, cela marchait. Je ne pense pas que je serais parti faire le jihad sans ces vidéos.»